Les services secrets russes hors de contrôle | ||
Longtemps redoutés en Russie comme à l'étranger, les services secrets russes ont beaucoup changé depuis l'époque soviétique: ils sont bien pires.
Telle est la thèse défendue par deux jeunes journalistes russes, Andreï Soldatov et Irina Borogan, qui viennent de publier un livre sur le FSB, les Services fédéraux de sécurité issus du KGB soviétique.
«Le KGB était une organisation très puissante mais il était strictement contrôlé par le Parti communiste», rappelle Andreï Soldatov dans une interview accordée à Reuters à Londres, où les deux auteurs sont venus faire la promotion de leur ouvrage.
«Avec le FSB, il n'y a plus de contrôle du parti et il n'y a pas de contrôle parlementaire (...) nous avons désormais des services secrets qui échappent à tout contrôle», a-t-il ajouté.
Cette absence de responsabilité et les méthodes de plus en plus brutales qu'ils utilisent font que les services russes ressemblent davantage aux moukhabarat, les polices spéciales du monde arabe, qu'aux anciennes agences soviétiques, ajoute Irina Borogan.
L'ouvrage s'intitule «La Nouvelle Aristocratie». Ce titre est tiré d'une expression employée par Nikolaï Patrouchev, ancien patron du FSB, dans un discours prononcé à la fin de l'année 1999 dans lequel il se réjouissait de la puissance retrouvée du FSB dans le sillage de Vladimir Poutine, ancien espion alors sur le point d'accéder à la présidence du pays.
Train de vie somptueux
Pour les auteurs, l'actuelle classe dirigeante du FSB ressemble à bien des égards à l'aristocratie russe de l'époque tsariste.
Les gradés du FSB mènent un train de vie somptueux financé par des revenus tirés de leur position privilégiée, ce qui constraste vivement avec l'austérité des responsables des services secrets soviétiques, dont les avantages disparaissaient dès qu'ils quittaient leurs fonctions.
«Les membres des nouveaux services de sécurité russes sont bien plus que de simples serviteurs de l'État», écrivent les deux journalistes. «Ce sont des propriétaires fonciers et des acteurs influents.»
Dans leur ouvrage, qui n'a pas été publié en Russie ni même évoqué dans les médias russes, ils rappellent comment une quarantaine d'hectares de terrain situés dans l'un des secteurs les plus chers de Moscou ont été légalement remis contre une bouchée de pain en 2003-2004 à des agents de haut rang du FSB pour services rendus.
Certaines parcelles ont ensuite été revendues pour plusieurs dizaines de millions de dollars.
Les agents du FSB et leurs homologues du SVR, le renseignement extérieur, sont de plus en plus utilisés pour défendre les intérêts économiques des oligarques russes, affirme Andreï Soldatov. Car en dépit de la richesse et de la puissance des services secrets, les auteurs pensent que le vrai pouvoir en Russie est entre les mains de ces hommes d'affaires.
Les agents des services secrets ne sont «absolument pas des dirigeants», juge Irina Borogan. «Ils n'ont pas de vision propre du système politique et économique en Russie», dit-elle.
Malgré ses promesses de modernisation de la Russie, le président Dmitri Medvedev ne va probablement rien changer au fonctionnement des services secrets, avancent les auteurs.
«Nous pensons que ce système créé par Poutine lui convient assez car il est assez stable et que lui-même ne voit guère l'intérêt (de le réformer)», conclut Alexeï Soldatov.