TDAH,un phénomène qui témoigne d’une réelle souffrance
TDAH, TSA, HPI : chacun cherche son diagnostic
De plus en plus d’adultes sont convaincus d’être atteints d’un trouble de l’attention (TDAH) ou du spectre de l’autisme (TSA) et consultent pour obtenir un diagnostic. Un phénomène qui témoigne d’une réelle souffrance et qui n’est pas sans conséquences.
Par: Marie-Hélène Proulx
1 mai 2024
Depuis quatre ans, l’écrivaine et chroniqueuse Catherine Voyer-Léger a le sentiment de « tenir avec de la broche ». C’est d’ailleurs le titre du blogue qu’elle a lancé en février, mue par le désir de comprendre comment elle a pu se transformer en « petite nature », elle qui traversait autrefois les jours sans coup férir. Ambitieuse, dégagée, en pleine possession de ses moyens.
Les cailloux dans sa chaussure la rendent folle, raconte-t-elle, assise à la table de cuisine de son logement encombré du quartier Nouveau-Rosemont, à Montréal. « Un bac de recyclage grugé par les écureuils, un dégât sur le plancher, une porte d’armoire brisée peuvent m’anéantir. »
Ça la console toutefois d’avoir enfin trouvé un coupable auquel imputer son épineuse gestion du quotidien — du moins en partie. L’an dernier, des lectures au sujet du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), qui affecte 4 % des adultes, l’avaient incitée à demander une consultation en neuropsychologie ― une branche de la psychologie qui étudie les liens entre le fonctionnement du cerveau et les comportements d’une personne ―, en dépit du scepticisme de ses proches. Comment une « droguée de l’agenda » dont tous les repas sont planifiés deux semaines à l’avance, qui a terminé avec brio deux maîtrises et deux scolarités de doctorat, pouvait-elle être atteinte d’un trouble touchant l’organisation et la concentration ?
Mais après une évaluation à 2 000 dollars dans une clinique privée, le verdict de « double exceptionnalité » (un concept qui soulève des débats en neuropsychologie) est tombé : en plus d’être affectée par un léger TDA sans hyperactivité, Catherine Voyer-Léger est à « haut potentiel intellectuel » (HPI), ce qui la place parmi les 2 % de la population dont le quotient intellectuel est de 130 et plus à l’échelle d’évaluation de l’intelligence des adultes de Wechsler.
Pendant longtemps, ses aptitudes cognitives hors norme lui avaient permis de compenser les difficultés plombant souvent le cheminement scolaire et la vie personnelle des gens aux prises avec un TDAH, selon sa neuropsychologue. Jusqu’à ce qu’un cocktail de défis la fragilise : notamment une pandémie, un diabète mal contrôlé, et l’adoption en solo d’une enfant de la DPJ souffrant de problèmes d’attachement et d’adaptation.
Les psychostimulants qu’elle prend depuis décembre pour traiter son déficit d’attention améliorent son efficacité, constate-t-elle. Mais le seul fait d’avoir obtenu un diagnostic constitue en soi un apaisement. Celui de TDA, surtout. « Ça a fait reculer la honte de ne pas être à la hauteur dans certains aspects de ma vie. Je ne suis pas une maudite paresseuse capricieuse, tu comprends ? »
Une question la tarabuste néanmoins. Quelle aurait été sa réaction si l’évaluation n’avait pas mené à une étiquette officielle, avec un traitement à la clé, considérant aussi la somme déboursée ? « Est-ce que j’aurais été déçue, désemparée ? J’ai l’impression qu’on est nombreux à chercher des solutions, voire une baguette magique pour enrayer nos vulnérabilités. »
Les gens ont une révélation en consultant pour leurs enfants, certains troubles neurodéveloppementaux étant en bonne partie héréditaires. Tout à coup, leur propre trajectoire chaotique prend tout son sens.
Catherine Voyer-Léger tape dans le mille. Depuis une dizaine d’années, les neuropsychologues, psychologues et psychiatres spécialisés dans les problèmes neurodéveloppementaux, comme les troubles d’apprentissage, l’autisme et le TDAH, sont assaillis de demandes de la part d’adultes en quête de réponses à leurs tourments. Tant dans les cliniques privées que dans les organismes de soutien et au sein du système de santé public. Certains établissements disent recevoir le double de sollicitations pour des rendez-vous, surtout depuis la pandémie.
« Le motif numéro un de consultation est le TDAH, mais de plus en plus de patients suspectent un trouble du spectre de l’autisme [TSA] ou un HPI, un état non pathologique que certains associent à l’hypersensibilité et à l’anxiété, bien que ce ne soit pas démontré scientifiquement », explique la neuropsychologue Magalie Loiselle, qui exerce en cabinet privé et au Centre étudiant de soutien à la réussite (CESAR) de l’Université de Montréal.
Depuis qu’elle a entrepris sa carrière, au début des années 2010, le nombre d’adultes « en situation de handicap » dans le réseau des universités québécoises — ce qui inclut les handicaps dits « invisibles », dont le TSA — est passé de 4 000 à plus de 25 000.
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Tous les soignants consultés jugent saines et souhaitables les démarches pour mieux se comprendre et solidifier ce qui tient avec de la broche, justement. Et il est vrai que les troubles neurodéveloppementaux ― soit des problèmes neurologiques touchant diverses sphères du développement, tels le langage, la mémoire, les interactions sociales ou la motricité ― peuvent se révéler sur le tard, particulièrement entre 20 et 40 ans.
« Dans le cas du TDAH, par exemple, on voit régulièrement des adultes qui deviennent dysfonctionnels quand les responsabilités s’accumulent — l’hypothèque, la vie de couple, la parentalité, une job plus stressante », remarque Dominique Simard, directrice générale de l’Association PANDA Saguenay–Lac-Saint-Jean, un organisme offrant des services aux personnes TDAH et à leur entourage. « Les stratégies qu’ils avaient mises en place depuis l’enfance ne fonctionnent plus, les symptômes explosent et ils ont alors tout intérêt à venir chercher de l’aide, car les conséquences personnelles et professionnelles peuvent être lourdes. »
Souvent aussi, les gens ont une révélation en consultant pour leurs enfants, certains troubles neurodéveloppementaux étant en bonne partie héréditaires. Tout à coup, leur propre trajectoire chaotique prend tout son sens.
Mais parallèlement à cela, des cliniciens observent l’émergence d’un phénomène de société très complexe, celui de patients qui ont « fait leurs recherches », selon l’expression désormais consacrée, et qui croient fortement souffrir de tel ou tel trouble. Au point de s’accrocher à l’idée d’obtenir un diagnostic comme à un radeau.
« Dans le climat actuel d’injonctions de performance et de réussite, c’est comme s’il fallait absolument que les échecs ou les limitations aient une source pathologique pour rendre moins douloureuse l’acceptation d’être dans la courbe normale », estime la neuropsychologue Élisabeth Perreau-Linck, qui travaille aussi au CESAR, à l’Université de Montréal.
C’est pourtant bien correct d’être normal, insiste-t-elle. Mais parfois, ce constat ne passe pas auprès des personnes concernées. Surtout à l’ère de la glorification de la beauté et des prouesses sur les réseaux sociaux. « La perspective d’obtenir un diagnostic leur permet au moins de se sentir un peu spéciales, faute de pouvoir répondre à des standards de perfection irréalistes. »
Il existe même un mouvement militant qui prône l’autodiagnostic en réaction à la supposée incompétence des professionnels de la santé à détecter les troubles neurodéveloppementaux
Or, le long processus d’évaluation nécessaire à la détection d’un trouble neurodéveloppemental, qui comprend de l’observation, des entrevues et souvent des tests psychométriques, ne confirme pas toujours la thèse des patients. Dans les cliniques contactées par L’actualité, dont les méthodes d’évaluation varient, de 10 % à 70 % des patients se font dire que leur problème est autre que l’étiquette à laquelle ils s’étaient identifiés.
« Il y en a qui pensent être atteints d’un TDAH alors qu’en réalité, ils ne dorment pas suffisamment, ou procrastinent parce que c’est leur manière de composer avec l’anxiété générée par des tâches », constate Magalie Loiselle. Certains voudraient un diagnostic afin d’obtenir une ordonnance de psychostimulant — un traitement pour les troubles de l’attention de plus en plus populaire auprès des adultes, selon des données de la RAMQ, qui révèlent une augmentation de 20 000 consommateurs chez les 18 ans et plus depuis 2019. « Mais si le vrai problème n’est pas le TDAH, ça ne réglera rien, au contraire. Ce médicament peut couper l’appétit, perturber le sommeil et rendre encore plus anxieux. »
D’autres affirment se sentir différents en mettant ça sur le compte d’un décalage généré par une présumée douance. « Mais en général, les tests de QI invalident cette hypothèse, soutient la neuropsychologue, et c’est délicat à annoncer, surtout si ces gens cherchent manifestement à réparer une estime de soi défaillante. Au fond, ils manquent de confiance en eux et veulent se convaincre qu’ils ont de la valeur. » Cela peut survenir quand une personne a souvent été comparée à un membre de sa fratrie qui avait beaucoup de succès, ou quand son amour-propre a été blessé par des moqueries à l’école.
Lorsque le résultat des examens ne correspond pas à la prémisse de départ, il arrive que des patients s’effondrent en pleurs, soient pris de colère, remettent en question le jugement clinique du professionnel.
« Ce n’est pas rare qu’une personne dont je n’ai pas retenu le diagnostic d’autisme m’envoie beaucoup, beaucoup de courriels, et fasse des demandes auprès de l’administration pour que je corrige mon rapport », raconte la psychiatre Chloée Paquette Houde, chef de service médical du programme de psychiatrie neurodéveloppementale adulte à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, dont l’un des volets est d’évaluer le TSA.
Derrière ces réactions se cachent généralement un trouble de la personnalité limite ou narcissique, ou des traumatismes affectifs pas simples à régler, dit-elle. « Je dirige alors ces gens vers des services que j’estime plus susceptibles de les aider, mais souvent ils se sentent déçus, invalidés dans leurs souffrances. Pour eux, l’étiquette de TSA était plus claire, plus facile à assimiler. Et peut-être plus désirable socialement. »
Il existe même un mouvement militant qui prône l’autodiagnostic, actif notamment sur TikTok (#selfdiagnosis), en réaction à la supposée incompétence des professionnels de la santé à détecter les troubles neurodéveloppementaux, dont l’autisme. Ses membres se considèrent comme les véritables experts de leur état, comme l’explique le manifeste de Ta psychophobie m’envahit publié sur le Web.
La recherche d’étiquette préoccupe la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou, aussi neuropsychologue. En 30 ans de pratique, elle en a vu défiler, des adultes surchargés au boulot, épuisés par les soins aux enfants, démolis par leur séparation. Et après, ils s’inquiètent parce qu’ils ont du mal à se concentrer… « Comme professionnels, c’est difficile de leur expliquer qu’ils ne souffrent pas d’un TDAH, que c’est surtout le contexte dans lequel ils évoluent qui n’a pas d’allure. Ils espèrent tellement qu’on les remettra sur les rails. »
La neuropsychologue souhaite que la santé publique lance un chantier pour réfléchir aux causes sociales plus profondes qui exacerbent les demandes de services en santé mentale, notamment pour les troubles neurodéveloppementaux. « Se pourrait-il, par exemple, que notre époque ait de la difficulté à composer avec le mal-être et l’anxiété, même lorsqu’ils sont passagers ? » avance-t-elle.
La culture contemporaine axée sur la différenciation identitaire, qui se manifeste entre autres par la multiplication actuelle des étiquettes visant à définir son genre ou son orientation sexuelle, joue sans doute un rôle dans la course au diagnostic, juge pour sa part la sociologue Valérie de Courville Nicol, spécialiste des dimensions sociales de l’anxiété.
« Les informations trompeuses en ligne ont sûrement leur part de responsabilité dans ce phénomène. »
Laurent Cordonier, directeur de la recherche à la Fondation Descartes
Depuis les années 1960, des groupes historiquement marginalisés, dont la communauté LGBTQ+ et les personnes handicapées, ont fait beaucoup d’efforts pour être reconnus et acceptés dans leurs différences, souligne-t-elle. Ce qui a notamment abouti au mouvement militant de célébration de la neurodiversité, un terme apparu à la fin des 1990 pour mettre en lumière les diverses expressions du fonctionnement neurocognitif chez les humains, telles que la dyspraxie, la déficience intellectuelle, l’autisme, le HPI, etc.
« C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, les gens sont encouragés à expliquer leurs difficultés à travers le prisme de la neuropsychiatrie, dont le jargon s’est répandu dans l’imaginaire collectif, et à revendiquer, au nom de leurs particularités, des soins de santé, des ressources financières, des aménagements en classe », ajoute la professeure à l’Université Concordia, qui compose elle-même avec un nombre croissant de demandes de la part d’étudiants dits neurodivergents (dyslexiques ou TDAH, par exemple).
« Parallèlement, un diagnostic officiel est devenu une sorte de ticket obligatoire pour avoir droit à des services psychosociaux et à des accommodements au bureau, puisque les ressources sont limitées », remarque Valérie de Courville Nicol.
Le désir d’embrasser une étiquette particulière découle également d’une plus grande médiatisation des troubles neurodéveloppementaux, de l’avis de nombreux experts.
Avec ce que ça comporte de positif : les témoignages de vedettes s’exprimant ouvertement sur leur TDAH (comme l’humoriste Philippe Laprise) ainsi que les séries télévisées ayant pour protagonistes des personnages autistes (Le bon docteur, Atypique ou Aspergirl) contribuent à sortir de l’ombre des communautés exclues, à éduquer la population et même à insuffler de l’espoir.
Mais cette percée dans l’espace public s’accompagne d’une prolifération de fausses croyances sur les réseaux sociaux, selon Laurent Cordonier, directeur de la recherche à la Fondation Descartes, en France, où il s’affaire à reproduire une étude américaine accablante menée l’an dernier par des chercheurs de l’Université Drexel, à Philadelphie. On y apprend que 73 % des informations sur l’autisme présentées dans une centaine de vidéos populaires de tiktokeurs anglophones — totalisant 199 millions de vues et 25 millions de J’aime — comportent soit des inexactitudes, soit des généralisations abusives.
« Et c’est un vrai problème, parce que beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes utilisent maintenant TikTok comme moteur de recherche », s’inquiète le sociologue, qui participe en ce moment à une vaste enquête sur la hausse considérable des demandes de rendez-vous dans les 27 Centres Ressources Autisme (CRA) en France, des établissements publics dont l’une des missions est d’évaluer le TSA.
Les données préliminaires indiquent que l’augmentation des consultations ne mène pas à une proportion plus importante de diagnostics positifs — ce qui signifie que bien des gens cognent à la porte des CRA en faisant fausse route quant à la nature de ce qui les afflige.
« Les informations trompeuses en ligne ont sûrement leur part de responsabilité dans ce phénomène », estime le spécialiste des facteurs d’adhésion aux thèses pseudo-médicales. « Quand on se pose des questions sur son identité au début de l’âge adulte, ou qu’on traverse plus tard une période de fragilité psychologique, on risque plus d’être séduit par des théories non fondées et de se convaincre d’être atteint de ceci ou de cela. »
Les neuropsychologues entendent d’ailleurs toutes sortes d’affirmations douteuses en cabinet, pêchées dans tel groupe Facebook ou tel compte Instagram. « Je ne vais même plus sur les réseaux sociaux, tellement ça me décourage, dit Magalie Loiselle, du CESAR. Ce n’est pas parce que tu détestes la texture des champignons ou que tu préfères la compagnie des animaux que ça fait de toi une personne dans le spectre de l’autisme ! Certains s’accrochent à des symptômes non spécifiques, alors qu’il y a mille explications possibles à un comportement. La normalité est très diversifiée. »
Malheureusement, ces « neuromythes » n’émanent pas que de quidams sur Internet. Des experts réputés participent également à la confusion qui règne, constate Élisabeth Perreau-Linck. C’est le cas de la psychologue française Jeanne Siaud-Facchin, autrice de nombreux best-sellers sur le HPI, dont Trop intelligent pour être heureux ? L’adulte surdoué (Odile Jacob, 2008), aussi fondatrice d’un réseau de cliniques privées spécialisées dans le diagnostic du HPI, Cogito’Z.
L’inventrice du concept de « zèbre » ― un animal symbolisant à ses yeux l’enfant surdoué, car il « se distingue nettement des autres dans la savane tout en utilisant ses rayures pour se dissimuler », écrit-elle ― a de solides détracteurs parmi les scientifiques. Certains l’accusent de populariser des idées jamais démontrées par des études — par exemple, que les personnes avec un HPI seraient plus sensibles et plus anxieuses que la moyenne des ours, ou qu’elles auraient des problèmes de motivation à l’école parce que le rythme d’apprentissage n’est pas assez rapide pour leur cerveau super-performant.
Au contraire, de nombreux travaux menés auprès de larges cohortes, notamment par les chercheurs français Nicolas Gauvrit et Franck Ramus, montrent qu’un QI élevé est corrélé positivement avec la persévérance scolaire, la réussite au travail, une bonne santé physique et mentale ainsi qu’une plus grande espérance de vie.
« Ça ne veut pas dire que les auteurs de psychologie populaire comme Jeanne Siaud-Facchin fabulent complètement, nuance Élisabeth Perreau-Linck, du CESAR. Mais il arrive fréquemment que leurs postulats ne reposent que sur des observations cliniques. Or, pour parvenir à un modèle théorique valable, il faut valider les hypothèses en laboratoire et produire des données empiriques fiables. »
Hélas, le grand public ignore ces subtilités et mord souvent à l’hameçon des interprétations simplistes et accrocheuses, d’autant qu’elles font l’objet d’une promotion efficace, qu’elles sont écrites par des gens coiffés d’un titre professionnel et que les médias traditionnels les reprennent, dit-elle.
Laurent Mottron s’en prend surtout à « l’épidémie non pas d’autisme, mais de se trouver autiste ». Une épidémie dont il tient en partie responsable le DSM-5 lui-même.
La neuropsychologue n’est pas la seule à s’en désoler — il suffit d’évoquer le sujet pour mettre instantanément de l’ambiance dans le bureau du psychiatre Laurent Mottron, situé au bout d’un dédale de corridors sombres de style Art déco à l’Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies, à Montréal-Nord.
« Je suis très passionné par mes affaires », admet le titulaire de la Chaire de recherche Marcel et Rolande Gosselin en neurosciences cognitives fondamentales et appliquées du spectre autistique de l’Université de Montréal. « Mais il se trouve que des cabinets privés font fortune en inventant des théories boiteuses qu’ils érigent ensuite en dogme », s’insurge celui qui se consacre aujourd’hui aux enfants autistes, après avoir suivi plus de 1 000 adultes avec un TSA, dont le tiers avaient reçu un diagnostic passé l’âge de 18 ans.
Le chercheur et clinicien cite en exemple la controverse impliquant Marianne Bélanger, chantre du concept de la « double exceptionnalité » au Québec et fondatrice du Centre intégré de développement de la douance et du talent, une clinique privée située à Saint-Lambert, sur la rive sud de Montréal.
En novembre dernier, la très médiatisée neuropsychologue a été reconnue coupable de cinq chefs d’infraction disciplinaire par le conseil de discipline de l’Ordre des psychologues du Québec. En gros, elle a utilisé une méthode d’évaluation non conforme pour conclure à des diagnostics positifs de HPI avec « double exceptionnalité » dans les dossiers de cinq enfants.
Mais là n’est pas le combat principal de Laurent Mottron, qui s’en prend surtout à « l’épidémie non pas d’autisme, mais de se trouver autiste ». Une épidémie dont il tient en partie responsable le DSM-5 lui-même, c’est-à-dire le manuel de critères publié par l’Association américaine de psychiatrie servant à établir les diagnostics de troubles mentaux ou psychiatriques dans une bonne partie du monde (l’ouvrage est traduit en 18 langues).
Dans la dernière édition, parue en 2013, la formulation des critères pour déterminer la présence d’un TSA est devenue tellement abstraite et peu spécifique, juge-t-il, qu’elle accueille maintenant plein de « passagers clandestins ». En particulier des personnes autistes ayant reçu un diagnostic à l’âge adulte, souvent qualifiées d’« invisibles » ou de « caméléons » (voir encadré « Un autre son de cloche »).
« Repérer des cas après 18 ans est occasionnellement possible, mais ce serait vraiment exceptionnel que la personne n’ait pas présenté d’atypie durant la petite enfance, surtout dans les pays industrialisés où la population jouit d’un accès à des soins de qualité, soutient le psychiatre. Dans ce contexte, si rien n’a été vu avant, le diagnostic est rarement crédible. »
Cette position vaut quelques hostilités à Laurent Mottron, lui qui avait la réputation d’être le « héros de la neurodiversité » dans les années 2000, à titre d’ardent défenseur des droits des autistes au Québec. « Maintenant, certains m’envoient des “compliments” très chouettes que je devrais faire encadrer… Je n’ai rien contre le fait que des personnes s’identifient à l’autisme, mais je ne peux leur offrir ma caution professionnelle pour ça. »
Le psychiatre est convaincu que le laxisme de la définition scientifique actuelle du TSA permet en partie l’augmentation « invraisemblable » de sa prévalence en Amérique du Nord, qui est passée de 1 % à 4,3 % en une vingtaine d’années. Alors qu’en Chine, ce taux demeure à 1 %, selon des études épidémiologiques qu’il estime sérieuses.
« Les effets sont tels que les différences observables en recherche entre les groupes composés de personnes avec un diagnostic de TSA et les groupes témoins ont diminué de 80 % », dit-il, s’appuyant sur les résultats d’une méta-analyse à laquelle il a participé en 2019, et dont la première autrice est une scientifique autiste.
Cette situation crée des conflits au sein de la communauté scientifique, conflits d’autant plus difficiles à pacifier qu’il n’existe pas de marqueurs biologiques de l’autisme ― ça ne se voit ni dans le sang ni dans le profil génétique (à ce jour, les études pour trouver des spécificités n’ont pas été concluantes). Chaque soignant s’en remet donc à son expérience clinique pour poser un diagnostic, et cette interprétation peut être source de débats.
Laurent Mottron espère néanmoins que la vaste recherche sur les critères du TSA mise en branle cette année par des experts de partout dans le monde aidera à remettre les pendules à l’heure, en revenant à une définition plus étroite. Parmi les manifestations qu’il juge fiables, il y a notamment une longue période sans langage durant l’enfance, avec des fascinations pour certains objets, ainsi que le fait de regarder lesdits objets en rotation ou de les faire tourner devant ses yeux.
Personne ne sort gagnant de cette « espèce de falsification », soutient Laurent Mottron, à commencer par ceux qui s’identifient à tort à un diagnostic. D’abord parce qu’ils ne reçoivent pas les soins dont ils ont vraiment besoin, et ensuite parce qu’ils s’enferment dans une perception d’eux-mêmes qui peut brimer leur épanouissement. « Cela dit, je trouve légitime la quête d’étiquette lorsqu’elle n’a pas pour but de s’en approprier une en particulier ; ces démarches peuvent même éviter des tragédies. »
Pour Éric, en tout cas, ça a été carrément cathartique, confie le quarantenaire aux cheveux mauves dans un troquet achalandé de la rue Masson à Montréal. Il me tend un peu nerveusement le rapport de la neuropsychologue qui l’a évalué il y a quatre ans, et qui concluait à un diagnostic de très haut potentiel intellectuel doublé d’un trouble de l’anxiété. « Je suis aussi possiblement autiste Asperger, c’est d’ailleurs ce qui m’avait d’abord incité à consulter, mais il faudrait que je fasse d’autres tests pour en avoir la confirmation et je n’en ressens pas le besoin. »
Catherine Voyer-Léger regrette que les fameuses étiquettes n’aient pas été à la mode dans les années 1980. « J’étais manifestement en grande détresse, mais à l’époque, ça passait pour des caprices ! »
L’entrepreneur n’a même jamais lu son rapport d’évaluation au complet. « Au fond, ça a surtout servi de tremplin pour réparer des blocages qui me paralysaient, avec l’aide de la psychologue que je consulte encore à l’occasion. Ça a tout changé dans ma vie. »
Par exemple, il a abandonné un poste de très haut niveau en sécurité informatique qui le rendait malade de stress pour travailler à son compte et développer sa carrière de DJ, la musique étant l’une de ses grandes passions. Il apprend en outre à se laisser toucher physiquement. « Maintenant, je suis capable de consulter en massothérapie, ce qui aurait été impensable avant. Je vois que je peux changer des choses et ça m’incite à m’attaquer à d’autres défis, comme pouvoir un jour mettre sur mes émotions d’autres mots que “je me sens bizarre”. »
Catherine Voyer-Léger est aussi habitée par un certain sentiment de réparation. « Sachant maintenant que j’ai un TDA et un HPI, je jette un autre éclairage sur mes souvenirs, et ça m’est utile dans mon travail d’écriture autobiographique. » Ainsi, elle comprend mieux l’enfant malheureuse qu’elle a été — isolée, agressée par le tapage dans la cour d’école, aux prises avec toutes sortes d’obsessions et de compulsions. « Je me sentais comme une extraterrestre ! » Sa relation tendue avec sa mère s’est également apaisée.
Elle regrette même que les fameuses étiquettes n’aient pas été à la mode dans les années 1980, malgré les dérives possibles du diagnostic à outrance dont elle est consciente. « J’étais manifestement en grande détresse, mais à l’époque, ça passait pour des caprices. Il fallait s’endurcir ! Aujourd’hui, ma fille a un plan d’intervention, des accommodements à l’école, on reconnaît ses besoins. Et elle est infiniment plus épanouie que moi à son âge. »
REF.: https://lactualite.com/societe/tdah-tsa-hpi-chacun-cherche-son-diagnostic/