Le monde de la crypto:Investissement de la CDPQ : des clients de Celsius à bout de nerfs témoignent
Économies disparues, vies chamboulées, colère, déception : des clients de Celsius ont pu déposer leurs témoignages devant la cour de la faillite de l’État de New York cette semaine. Ceux-ci offrent un regard inédit sur une des plus spectaculaires implosions du monde de la crypto, et ses conséquences chez de petits investisseurs qui affirment y avoir perdu leur chemise.
« S’il vous plaît, aidez-nous. »
Ainsi se termine une des quelque 40 lettres envoyées par des clients de Celsius au juge Martin Glenn, qui préside aux procédures de faillite déclenchées par l’entreprise le 13 juillet.
Celsius Network agissait comme une banque dans le monde de la crypto. Les clients pouvaient y déposer leurs cryptoactifs et obtenir un rendement annuel pouvant aller jusqu’à près de 19 %. Ils pouvaient aussi obtenir des prêts en cryptomonnaie ou en argent liquide en plaçant leurs cryptoactifs chez Celsius sous forme de garantie.
La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) avait annoncé participer à une ronde de financement de 400 millions de dollars américains chez Celsius en octobre dernier. Une enquête de Radio-Canada avait déterminé que la participation de la Caisse s’élevait à 150 millions de dollars américains.
Celsius a subitement gelé les retraits de sa plateforme le 12 juin. Depuis cette date, les clients ne peuvent plus retirer leurs cryptoactifs de la plateforme. Le 13 juin, Celsius annonçait se placer sous la protection de la loi sur les faillites dans l’État de New York.
Les lettres adressées au juge Glenn parviennent de partout dans le monde, de la Finlande, en passant par l’Inde, l’Australie, la Belgique et la Corée du Sud. Radio-Canada n’a pas pu trouver de témoignage de clients canadiens, mais certains clients ne précisent pas où ils habitent.
Ces clients estiment aujourd’hui avoir tout perdu et implorent le juge de leur permettre de récupérer leurs fonds.
J’ai
50 ans et suis travailleuse dans le domaine de la santé. Je n’ai pas
beaucoup d’économies comparativement à d’autres, mais c’est un montant
considérable pour moi et ma famille
, écrit une femme qui affirme avoir investi l’équivalent de 19 000 $ US en crypto chez Celsius.
Je suis frustrée, je ne peux pas dormir, mon mari ne sait pas ce qui s’est passé. S’il vous plaît, rendez-nous justice
, poursuit-elle.
Un client habitant en Inde assure quant à lui avoir placé quelque 14 000 $ US en cryptoactifs chez Celsius. Ce montant est énorme pour un Indien. L’Indien moyen gagne 5000 $ US par année
, dit-il.
Je suis très stressé et je suis suicidaire depuis que Celsius a bloqué les retraits. Je suis le seul gagne-pain de ma famille
, poursuit-il.
Une cliente australienne affirme avoir placé des fonds chez Celsius alors qu’elle attendait l’arrivée d’un nouveau bébé.
Je
prévoyais retirer mes fonds de Celsius pour m’aider à payer mon
accouchement et une opération pour ma tante à la fin juin, mais depuis
que [Celsius] a mis les retraits sur pause, je n’ai plus accès à mon
argent et ma vie est devenue misérable. Je m’inquiète que mon stress,
causé par la situation chez Celsius, n'affecte la santé de mon bébé.
Dans sa lettre au juge Glenn, la cliente a inclus une capture d’écran d’un courriel qu’elle avait envoyé au service à la clientèle de Celsius le 15 juin, suppliant l’entreprise de faire une exception et de la laisser retirer ses fonds.
Pour tenter de convaincre l’agent, elle avait inclus une photo d’une échographie de son bébé.
Un autre client américain, qui avait placé l’équivalent de 40 000 $ à 50 000 $ US en crypto chez Celsius, raconte avoir appris que ses fonds avaient été gelés alors qu’il était au gym.
Je
me suis effondré au sol, ma tête dans mes mains, alors que je retenais
des larmes. J’ai fait de mon mieux pour aller au travail et voir mes
collègues ce jour-là. Il m’était impossible de me concentrer sur mon
travail. C’était comme vivre un cauchemar. Toutefois, c’était loin
d’être aussi mauvais que quand je suis retourné chez moi et que j’ai dû
faire face à ma famille
, écrit-il.
Un investissement controversé
En octobre 2021, le PDG de Celsius, Alex Mashinsky, avait affirmé que l’investissement auquel avait participé la Caisse avait donné un coup de pouce à la crédibilité de l’entreprise.
[Ce qui est important], ce n’est pas les 400 M$, c’est la crédibilité qui vient avec les gens qui ont signé les chèques
, avait-il déclaré à l’époque.
Quelques mois plus tard, il affirmait lors d’un balado que la due diligence
[vérification préalable] de la CDPQ est ce à quoi d’autres gens se
fient pour décider si Celsius est une compagnie à qui ils peuvent faire
confiance
.
C’est le cas d’un client ayant envoyé une lettre au juge Glenn, qui affirme avoir placé l'entièreté de ses économies chez Celsius après avoir constaté la réputation des partenaires d’affaires de l’entreprise.
Quand j’ai vu des entreprises [qui ont des équipes affectées à la due diligence]
investir des centaines de millions de dollars dans Celsius, j’ai
commencé à mettre la plupart de mes cryptoactifs sur la plateforme
, écrit-il, avant d’avouer avoir honte
d’avoir recommandé Celsius à ses amis et aux membres de sa famille.
La Caisse était restée relativement muette à propos des déboires de Celsius depuis le mois de mai. Toutefois, le chef des relations médias de la CDPQ, Maxime Chagnon, a fait parvenir à Radio-Canada une déclaration mercredi matin.
Le
processus dans lequel Celsius est engagé est complexe et prendra un
certain temps à se dénouer. Comme toujours, notre première préoccupation
est de protéger les intérêts de nos déposants, les Québécois. Nos
équipes déploient tous les efforts nécessaires pour préserver nos droits
en tenant compte du processus judiciaire en cours
, a fait savoir M. Chagnon, en reconnaissant que l’investissement de la caisse suscite plusieurs questions
.
Il a ajouté que certains de nos investissements, comme celui dans Celsius, ne donnent pas les résultats escomptés
.
Jointe vendredi après-midi pour commenter les témoignages des clients déposés en cour cette semaine, la Caisse n’a pas donné suite à nos demandes.
Celsius n’a pas répondu à nos questions.