Des données confirment de prochaines pénuries majeures de main-d'oeuvre dans plusieurs secteurs.
«La marche vers ce que nous avons déjà appelé "le bogue de 2012" sera peut-être ralentie par la récession, mais ce que nous observons depuis près d'une décennie, tant d'un point de vue sectoriel que régional, confirme la tendance vers le manque, voire les pénuries de main-d'oeuvre, certaines étant déjà bien identifiées, explique Patricia Richard, directrice générale des contenus pour Jobboom.com. Ce phénomène va évidemment accentuer les difficultés déjà ressenties à former une relève suffisante, surtout dans certains secteurs de la formation professionnelle et technique.»
«Le bogue de 2012, c'est quelque chose qui est annoncé depuis plusieurs années. Mais ç'a pris du temps pour vraiment s'en rendre compte et pour prendre des actions contre ça, souligne aussi la directrice, recherche et rédaction de l'édition 2010 du guide Les Carrières d'avenir, Julie Gobeil. Mathématiquement, on voit arriver un mur.»
De quoi appuyer l'idée, défendue par Claude Castonguay, que les Québécois devraient porter plus longtemps leur chapeau de travailleur. Dans une étude publiée la semaine dernière, il plaidait d'ailleurs pour des correctifs aux règles fiscales, aux régimes de retraite et aux programmes de formations destinés aux travailleurs, mais aussi pour un changement d'attitude de l'ensemble des acteurs de la société. Appliquer tout un train de mesures en ce sens permettrait, selon lui, d'ajouter l'équivalent de 270 000 travailleurs dans la province. On compenserait ainsi près de la moitié de l'impact prévu du choc démographique sur la croissance économique québécoise.
Besoins importants
L'idée de M. Castonguay fait son chemin, surtout que les besoins en main-d'oeuvre auxquels le Québec sera confronté apparaissent importants. Selon les données contenues dans le Bilan 2010 des perspectives du marché du travail, l'énergie et les technologies de l'information et des communications (TIC) se démarquent par leurs projections et leurs investissements importants.
Le domaine de l'énergie, poussé par les projets d'efficacité énergétique et de développement de sources d'énergie renouvelables mis sur pied par Québec, devrait en fait créer 130 000 emplois d'ici à 2015, dont 31 000 uniquement pour l'énergie éolienne. Et Hydro-Québec, où 1000 employés quitteront la vie active chaque année jusqu'en 2012, prévoit aussi des embauches importantes.
Les principaux acteurs de l'industrie des TIC espèrent quant à eux créer 60 000 emplois d'ici à 2015. Or, les faibles cohortes des universités et des cégeps dans le domaine de l'informatique et du logiciel laissent entrevoir un important manque de main-d'oeuvre. Par exemple, au Collège de Rosemont, à Montréal, de 20 à 30 étudiants du DEC Techniques de l'informatique obtiennent leur diplôme; le service de placement de l'établissement reçoit toutefois de huit à dix offres de stages par étudiant. Une situation qui vaut pour plusieurs programmes dans la province.
Dans le domaine du transport, on évalue les besoins à 70 000 nouveaux travailleurs d'ici à cinq ans, uniquement pour remplacer les retraités. Du côté de la construction, où le roulement de main-d'oeuvre est élevé et les projets d'infrastructures nombreux, la Commission de la construction du Québec estime que 14 000 travailleurs seront nécessaires chaque année d'ici à 2013.
En santé, où la pénurie est déjà criante dans bien des corps d'emploi, on vit en outre le vieillissement de la population sur deux plans: d'abord, les patients sont plus nombreux et requièrent plus de soins, ce qui amènera la création de 37 000 nouveaux postes dans le réseau d'ici à la fin de 2013, selon les données d'Emploi-Québec. «En même temps, les salariés expérimentés quittent le réseau en masse pour prendre leur retraite. En tout, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec embauchera de 13 000 à 22 000 personnes par an jusqu'en 2015», ajoute Patricia Richard.
La hausse de l'embauche en environnement, qui a progressé de 2 % entre 2007 et 2009, devrait par ailleurs se poursuivre sur la même lancée au cours des prochaines années, en raison des nouvelles lois et réglementations.
Au total, selon le ministre de l'Emploi, Sam Hamad, 640 000 emplois seront disponibles au cours des prochaines années, dont un tiers exigeront une formation professionnelle au secondaire ou une formation technique au collégial.
La pénurie de travailleurs, bien réelle dans le secteur de la construction, est en train de s'étendre à toute l'économie du Québec. La menace est assez sérieuse pour qu'on parle maintenant du bogue de l'an 2012.
Dans quatre ans, en effet, la population québécoise en âge de travailler, soit le groupe des 15 à 64 ans, commencera à décroître, ce qui aggravera les problèmes de recrutement des entreprises.
«C'est une situation extrêmement préoccupante, reconnait Gaëtan Boucher, le président de la Fédération des cégeps, Il en va de la prospérité et du développement du Québec.»
M. Boucher participait jeudi au lancement du bilan des tendances de l'emploi de la firme Jobboom qui, depuis des années, souligne la pénurie croissante de travailleurs au Québec, notamment du côté des métiers.
Cette année, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale s'est joint à l'événement avec une campagne pour encourager les jeunes à s'inscrire en formation professionnelle.
Malgré toutes les campagnes de ce genre, les besoins de travailleurs spécialisés sont criants dans plusieurs entreprises.
Le secteur de la réparation d'équipement de télécommunications, par exemple, aurait eu besoin de 125 employés l'an dernier, alors que seulement 60 finissants sont sortis de l'école dans cette spécialité.
Les campagnes de promotion des métiers ne donnent pas de résultats spectaculaires, selon André Caron, président de la Fédération des commissions scolaires du Québec, «On a 3% ou 4% de plus d'inscriptions que l'année dernière», a-t-il précisé.
C'est que le problème ne vient pas du choix de carrière mais du vieillissement de la population et de la faible croissance démographique.
Les meilleures campagnes de promotion au monde ne pourront rien changer à ça, reconnaît le président de la Fédération des cégeps, qui verra sa population étudiante diminuer de 25 000 d'ici les deux prochaines années.
Le gouvernement Charest vient d'assouplir les conditions d'admission au collégial, pour endiguer cette baisse d'effectif.
Les élèves à qui il manque un ou deux cours pour obtenir leur diplôme d'études secondaires pourront quand même entrer au cégep, à condition de suivre les cours qui leur manquent en même temps que leurs cours du collégial.
Aussi, les cégeps pourront délivrer des diplômes sans spécialité aux élèves qui auront accumulé suffisamment de crédits, mais dans aucun programme en particulier.
Mais la solution à la pénurie de main-d'oeuvre devra venir d'ailleurs, et notamment de l'augmentation de l'âge de la retraite et de l'augmentation du nombre d'immigrants.
«C'est à ça qu'on travaille», a acquiescé Emmanuel Dubourg, porte-parole du ministre de l'Emploi Sam Hamad.
En attendant, les entreprises se débrouillent comme elles peuvent pour combler leurs besoins de main-d'oeuvre. Rona, par exemple, embauche de plus en plus dans ses magasins des retraités qui veulent demeurer actifs.