EXCLUSIF - En toute franchise, Monique Jérôme-Forget a admis en
entrevue que la Société immobilière du Québec dont elle avait la
responsabilité n'était pas sa priorité au gouvernement. Elle se fiait au
pdg et aux membres du conseil d'administration pour lesquels elle
n'avait toutefois pas une grande estime.
Un texte de Marie-Maude Denis et Gaétan Pouliot d'Enquête
« Sincèrement, ça ne m'intéressait pas. Peut-être que ça aurait dû
m'intéresser. Moi, Monique Jérôme Forget, la SIQ ne m'intéressait pas »,
nous a avoué l'ex-ministre libérale rencontrée dans sa demeure de
Montréal cet été.Bien qu'au moment de l'entrevue elle n'ait pas été au courant des détails de l'enquête de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) sur de graves allégations de fraude, elle nous a dit avoir collaboré avec les policiers pour les aider dans leurs recherches sur la Société immobilière.
Cette société d'État était sous sa responsabilité. Mme Jérôme-Forget a été présidente du Conseil du trésor de 2003 à 2008 et ministre des Finances de 2007 à 2009 dans le gouvernement de Jean Charest.
C'est durant cette période que des collecteurs de fonds du Parti libéral du Québec (PLQ) et l'ex-pdg de la SIQ se seraient partagé d'importantes sommes d'argent en marge de transactions immobilières effectuées par le gouvernement.
Pour assurer la bonne gouvernance de l'institution, Monique Jérôme-Forget se fiait aux gestionnaires et au conseil d'administration.
Pense-t-elle que des organisateurs politiques libéraux auraient pu contribuer à la nomination des membres du C. A. et peut-être même du pdg de la SIQ lorsqu'elle en était responsable?
« Sincèrement, je ne pourrais pas vous dire », dit-elle, ajoutant que personne de compétent ne souhaitait être administrateur de la SIQ, un poste bénévole.
« Peut-être que je ne devrais pas dire ça, mais aller [au] conseil d'administration de la SIQ, ce n'est pas le plus prestigieux », explique-t-elle.
Elle-même ne voudrait jamais occuper cette fonction.
C'est pas assez prestigieux. Ça n'a pas d'envergure. Aller m'intéresser aux édifices du gouvernement. Voyons. Zéro intérêt.Fait troublant, tous les membres du conseil d'administration de la SIQ nommés avec l'arrivée du pdg Marc-André Fortier, en 2003, avaient un lien avec le PLQ (bénévoles, donateurs) ou avec les collecteurs de fonds Charles Rondeau ou Franco Fava.
Résultat, les membres du C. A. de la SIQ étaient des incompétents, à son avis.
C'est une gang de pas bons là-dedans! C'est pas prestigieux.Des propos que rejette du revers de la main Claire Boulanger, qui était membre du conseil d'administration à l'époque.
« Nous avons eu le plaisir de la rencontrer peut-être trois minutes à son bureau. Elle n'avait vraiment aucune affinité pour la Société immobilière. Elle ne nous connaissait pas du tout. [...] Alors, je ne sais pas où elle prend ses propos que "c'est une gang de pas bons" », dit Mme Boulanger, ajoutant avoir siégé avec des gens de bonne foi, qui travaillaient fort et prenaient au sérieux leur mandat à la SIQ.
Selon Mme Boulanger, le conseil d'administration a été induit en erreur par Marc-André Fortier lorsqu'il était pdg.
Mise à pied de Marc-André Fortier
Si Monique Jérôme-Forget a embauché le pdg Marc-André Fortier en 2003, c'est aussi elle qui l'a renvoyé.
En 2008, le vérificateur général informe Mme Jérôme-Forget d'irrégularités dans les comptes de dépenses du pdg de la SIQ. On y retrouve des invitations à des parties de golf et des « dépenses absolument incroyables », se rappelle Mme Jérôme-Forget. Elle le met à pied sur-le-champ.
M. Fortier sera d'ailleurs poursuivi par son ancien employeur pour des dépenses injustifiées. Le tribunal l'a condamné à rembourser 75 000 $.
Lors de son procès, il a déclaré qu'il avait été nommé à la tête de la SIQ après avoir exercé des pressions sur des personnes « pesantes » au PLQ.
« On m'a demandé de le rencontrer. Je n'ai pas été éblouie par M. Fortier, je dois vous avouer candidement », dit Monique Jérôme-Forget, se rappelant sa rencontre avec l'homme après la prise du pouvoir des libéraux en 2003.
Malgré tout, elle confirmera sa nomination qui lui est recommandée par le Secrétariat aux emplois supérieurs, qui relevait du premier ministre de l'époque, Jean Charest.
Radio-Canada a appris que Marc-André
Fortier, pdg de la SIQ de 2003 à 2008, et les collecteurs de fonds
libéraux William Bartlett, Franco Fava et Charles Rondeau se seraient
partagé près de 2 millions de dollars dans le cadre de prolongation de
baux.
Plusieurs documents obtenus lors de notre
enquête démontrent que la SIQ opte la plupart du temps pour des baux de
10 ans et moins.
Pourtant, en 2004, la société d’État a signé
un bail de 17 ans pour la location de presque tous les étages du plus
important édifice de la place D’Youville, à Québec.
Deux mois plus tard, le gestionnaire de
l’immeuble aurait donné l’ordre de virer 1,25 million de dollars d’une
banque du Liechtenstein à un compte en Suisse.
La majorité de cette somme aurait ensuite pris le chemin de quatre comptes aux Bahamas.
Le manège se serait répété en 2006 lorsque
la SIQ a signé des baux de 20 et 25 ans pour deux autres immeubles à
Québec.
Cette fois, le gestionnaire aurait versé 2,1
millions de dollars à un consultant en immobilier. L'argent aurait
ensuite transité de Montréal vers une banque en Belgique et dans
plusieurs autres comptes en Suisse.
Au bout de la chaîne, 902 000 $ auraient été
déposés dans un compte de William Bartlett, qui en plus d’être un
collecteur de fonds du PLQ est un ancien vice-président de la SIQ.
Il aurait transféré la moitié de cette somme
dans une banque des Bahamas. De là, trois traites bancaires auraient
été émises aux noms de Marc-André Fortier (170 000 $), de Charles
Rondeau (100 000 $) et de Franco Fava (100 000 $).
Les gestionnaires d’immeubles nous ont dit
ne pas savoir qui a bénéficié ultimement des sommes d’argent.
Maxim Martin de la radio Énergie a dit de lui: Que le nouveau Parrain du Québec était Jean Charest ;-)
Source.: