Peut-on réduire les références au diable dans le Nouveau Testament à une influence de la littérature juive intertestamentaire ? Satan appartient-il aux représentations mythiques chargées de personnaliser les tendances négatives du cœur de l’homme ? Ou bien faut-il y voir une réalité ontologique, un ange déchu, qui tente d’entraîner l’homme à sa suite ?
Les Écritures ne semblent pas laisser de doute quant à la réalité du démon : les Evangiles et les lettres de Saint Paul convergent pour donner un « poids » ontologique à ce triste sire.
Poursuivons notre enquête sur le démon à l’école de la Révélation, et après avoir consulté les Ecritures, nous jetons un regard sur la Tradition patristique et sur les documents du Magistère. La conclusion s’impose : « Le mal n’est pas seulement une déficience : il est le fait d’un être vivant, spirituel, perverti et pervertisseur. Il sort du cadre de l’enseignement biblique et ecclésiastique celui qui refuse de le reconnaître pour existant, ou encore qui l’explique comme une pseudo-réalité, une personnification conceptuelle et imaginaire des causes inconnues de nos misères » (Paul VI).
REF.: http://www.parresia.fr/Le-diable-mythe-ou-realite-2.html
Cette doctrine, qui ne peut qu’étonner, voire choquer un chrétien, est cependant cohérente dans le contexte du naturalisme. Rappelons que sous ce terme nous désignons tous les systèmes de pensée qui divinisent la nature - ou naturalisent Dieu. D’où le mal pourrait-il surgir dans un univers qui serait de part en part divin ? Même la forme la plus élémentaire du mal, à savoir l’absence d’un bien espéré, est exclue dans un univers saturé d’énergies divines dont il est émané. Une subjectivité perverse qui s’opposerait à Dieu est également inconcevable, puisque toute forme d’altérité est ultimement illusoire : le Satan ne peut être qu’une étincelle divine en voie d’évolution, comme le sont les Anges et toutes les créatures, chacune progressant à son niveau sur le chemin de la réalisation de leur commune nature divine. Satan ne serait donc pas « mauvais », mais il représenterait le « mal nécessaire » à l’évolution universelle, et en tant que tel, il serait un bien. Tous les naturalismes tentent en effet d’expliquer l’apparition du multiple à l’intérieur de l’Un impersonnel divin, par l’interaction de deux forces opposées mais complémentaires, qui mettent en mouvement l’énergie divine primordiale indifférenciée. Le Taoïsme parle du Yin et du Yang, l’hindouisme de Brahma et Shiva ; H. P. Blavatsky ajoute un nouveau couple inattendu : l’Esprit Saint et Satan ! Lorsque saint Paul parle d’un « affrontement », de « tendances qui s’opposent », bref d’un conflit irréconciliable entre l’Esprit de Dieu et l’Esprit du monde, il trahit selon notre auteur que son regard est encore exotérique. Prisonnier du monde des apparences où domine la dualité, il n’a pas perçu la fécondité de cet antagonisme, qui ne se dévoile qu’au regard initié à la vision ésotérique. Car pour H. P. Blavatsky comme pour toute la tradition ésotéro-occulte, c’est ensemble que Bien et Mal assurent le dynamisme de l’évolution ; et c’est en les intégrant que le Sage prétend reconstituer l’Un primordial et divin, selon l’enseignement du Serpent des origines : « Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » (Gen 3, 5).
Cette dernière citation souligne l’incompatibilité radicale de la doctrine naturaliste défendue par H. P. Blavatsky, avec le créationnisme judéo-chrétien. Nous maintenons la distinction ontologique entre la grâce divine incréé et les énergies occultes de l’univers créé, ces dernières étant hélas investies pour une bonne part par le Prince de ce monde, c’est-à-dire par« le Serpent des premiers jours, celui qu’on nomme Démon et Satan, celui qui égare le monde entier, et qui fut jeté sur la terre, et ses anges avec lui » (Ap 12, 9).
REF.:
Père Joseph-Marie Verlinde