Dans le déploiement des réseaux de télécommunications de
cinquième génération (5G), le Canada adopte une stratégie qui s’inspire
des fables de La Fontaine : rien ne sert de courir, il faut partir à
point.
Les réseaux de cinquième génération promettent des améliorations importantes par rapport aux réseaux 4G LTE actuels. Les consommateurs peuvent notamment s’attendre à des vitesses de transfert sur leur téléphone intelligent de 100 Mbps, soit 10 fois plus rapides que les vitesses moyennes de nos jours.
Du côté des entreprises, l’Internet 5G pourra notamment relier des millions d’objets connectés dont les piles n’auront à être rechargées qu’aux 10 ans. La faible latence de ces réseaux (le temps de réaction pour qu’une information soit transmise) devrait aussi permettre de relier des objets dont la fiabilité est cruciale, comme les voitures autonomes et des systèmes médicaux.
« Dans le secteur minier, où on envoie encore des gens travailler à trois kilomètres sous la terre, la vision à long terme est d’extraire le minerai à distance avec de la machinerie connectée. Mais pour ça, ça prend des communications fiables avec de très faibles latences, comme avec la 5G », explique André Perreault, directeur des solutions technologiques chez l’équipementier Ericsson Canada.
« Dans notre vie de tous les jours, la 5G n’aura pas un impact flamboyant, mais elle va rapidement avoir sa place dans l’industrie », résume l’ingénieur.
Deux enchères de spectre d’ici 2021
Pour mettre en place les premiers réseaux 5G, les géants des télécommunications devront attendre les mises aux enchères de la bande de fréquence 3500 MHz en 2020 et des bandes d’ondes millimétriques en 2021, annoncées la semaine dernière par Innovation, Sciences et Développement économique Canada.Les ondes permettent la transmission de toutes sortes d’informations, comme la radio, la télé et les communications par téléphone cellulaire. La plupart des fréquences sont protégées pour des usages précis et nécessitent l’obtention d’une licence pour les utiliser (c’est pour ça qu’on ne peut pas diffuser un poste de radio FM à partir de son sous-sol, par exemple). Les licences pour les fréquences requises par les réseaux cellulaires sont généralement remises lors de ventes aux enchères. C’est une enchère qui avait permis à Vidéotron de lancer son réseau 3G en 2008, et c’est une enchère qui avait contribué au déploiement des réseaux LTE en 2013.
Ces dernières se sont avérées payantes pour le gouvernement, avec plus de 4 et 5 milliards de dollars amassés respectivement. La prochaine pourrait potentiellement l’être encore plus.
« Les ventes aux enchères annoncées par le ministre cette semaine concernent les dernières quantités significatives de bandes que possède le gouvernement. Le spectre est une ressource limitée, et il n’en restera que de très petites quantités après ces ventes. C’est pourquoi elles peuvent rapporter des sommes considérables au gouvernement et peuvent influencer l’économie canadienne si profondément », croit Alexandra MacEachern, directrice des politiques et de la sensibilisation au Conseil des technologies de l’information et des communications du Canada (CTIC).
Notons qu’une troisième enchère avait déjà été annoncée pour 2019, pour la bande 600 Mhz, mais que son intérêt pour la 5G est plus à long terme.
Les consultations qui mèneront aux enchères de 2020 et 2021 permettront au gouvernement de cerner le spectre qui sera offert, mais aussi de déterminer si une partie sera réservée aux opérateurs régionaux, comme Vidéotron au Québec et SaskTel en Saskatchewan. Les usages du spectre et les entreprises qui pourront participer aux enchères seront aussi évalués, puisque les ondes utilisées par la 5G intéressent d’autres joueurs que les opérateurs traditionnels. Facebook a d’ailleurs démontré son intérêt plus tôt cette année pour utiliser les bandes 5G afin de relier les régions éloignées canadiennes à l’Internet avec ses drones solaires.
« Des sociétés possédant des véhicules autonomes comme Uber, des géants des communications comme General Electric et des fabricants comme Toyota qui pourraient construire des usines intelligentes » pourraient aussi vouloir leur part du gâteau, note Alexandra MacEachern, qui a publié cette semaine le rapport La technologie mobile de cinquième génération : la dernière mine d’or pour le CTIC.
Une industrie prête à accélérer
La longue attente d’ici les enchères ne plait pas à tous.« Nous aurions préféré que l’enchère de spectre à venir fasse l’objet d’un échéancier plus serré afin que nous puissions rattraper les autres pays qui ont déjà entamé ce processus concernant la technologie 5G », commente Johanne Senécal, première vice-présidente, Gouvernement fédéral et affaires réglementaires de Telus, qui se dit toutefois enthousiaste à l’idée de « participer aux consultations et de tout mettre en œuvre pour lancer la technologie 5G aussi rapidement que possible ».
L’intérêt des opérateurs pour la 5G est facile à expliquer. Alors qu’ils ont atteint un taux de pénétration dépassant les 100% chez les consommateurs canadiens, l’arrivée de la technologie leur permettra de croître grâce aux nouveaux marchés qui seront rendus possibles avec la 5G.
Il existe toutefois d’autres raisons pour justifier un déploiement accéléré des réseaux. Des opérateurs américains offriront la 5G dès cette année. Elle sera réservée dans un premier temps à l’Internet résidentiel, mais son évolution pourrait permettre l’arrivée de nouvelles technologies qui avantageraient les entreprises américaines par rapport aux entreprises canadiennes. Dans une telle éventualité, les enchères canadiennes tardives pourraient faire mal.
Les entreprises québécoises et ontariennes pourront heureusement mettre les technologies 5G à l’essai dès cette année, avec la mise en place du programme ENCQOR, qui rendra un réseau 5G précommercial accessible aux chercheurs et aux PME. Le retard du Canada est aussi relatif, alors qu’il sera tout de même en avance sur des pays importants comme l’Australie et l’Allemagne.
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