Condamnés à vivre avec moins d’argent
Le taux de chômage ne dit pas tout. Il indique le nombre de personnes qui se cherchent un emploi, mais omet tous ceux qui ont déniché un travail moins payant qu’avant. Le Journal a découvert plusieurs cas qui pourraient laisser croire que le Québec s’appauvrit.
Un travailleur minier qui frôle la faillite après avoir
gagné 120 000 $ par année, un gestionnaire forcé de vendre de
l’électronique, des travailleurs d’Electrolux qui se retrouvent à l’aide
sociale. Des centaines de travailleurs vivent le drame d’une baisse de
salaire extrême.
Le taux de chômage ne dit pas tout sur le marché du travail. Les
gens qui perdent un bon emploi en retrouvent un, mais souvent au prix de
nombreux sacrifices.
Entre 2004 et 2014, l’industrie manufacturière au Québec a perdu
140 000 emplois. Il s’agissait souvent d’emplois syndiqués et bien
rémunérés occupés par des travailleurs expérimentés, mais avec un faible
niveau d’éducation.
«J’ai toujours fait un excellent salaire, même si j’ai
l’équivalent de mon secondaire 3. Je n’ai jamais su c’était quoi
travailler à 40 000 $ par année. Maintenant, je sais et ce n’est pas
évident», affirme Aurèle Lafrenière, un travailleur minier qui a perdu
son emploi en 2011 à l’âge de 59 ans.
Plusieurs de ces travailleurs licenciés vont trouver un emploi
beaucoup moins payant que celui qu’ils occupaient auparavant. Vivant
d’un salaire de plus de 20 $ de l’heure depuis des années, ils doivent
accepter maintenant de vivre avec un salaire horaire de moitié moindre.
Selon Marcel Paradis, qui aide ce type de travailleurs à retourner sur le marché du travail, le gros défi est la surestimation.
«En moyenne, ils ont peu de scolarité et ils veulent faire 20 $
de l’heure en commençant. Notre travail est de les ramener à la
réalité», explique le cofondateur de Campus Emploi à Joliette.
Technologies « mortelles »
Les travailleurs du secteur manufacturier, largement syndiqués, vivent un déclin de leurs conditions de vie.
«Lorsque nos entreprises du textile, des scieries, des pâtes et
papiers et de l’industrie pétrochimique reprennent de la vigueur, elles
introduisent des progrès technologiques qui sont mortels pour les
anciens travailleurs de ce secteur», observe Paul-André Lapointe,
professeur titulaire au Département des relations industrielles de
l’Université Laval.
Emploi temporaire
Il se crée davantage d’emplois temporaires que permanents au
Québec. Or, ce type d’emploi offre un salaire moyen de 19,41 $ l’heure
contre 23,66 $ pour les emplois permanents.
Les avantages sociaux, comme les vacances, le fonds de pension et
les assurances santé, sont également moindres dans un poste temporaire.
L’an dernier, 177 100 Québécois devaient cumuler plus d’un
travail pour survivre. De 2004 à 2014, le cumul d’emplois a augmenté de
31,1 %, observe l’Institut de la statistique du Québec.
Concurrence
«Ce phénomène s’accélère, ça devient la norme. C’est préoccupant.
Cette tendance semble indiquer une recherche de productivité ou de
profits à court terme. Elle effrite la transmission des savoirs, la
socialisation et la transmission des compétences», s’inquiète Angelo
Soares, professeur au département d’organisation et ressources humaines
de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
Selon le chercheur, cette situation place les employés en
concurrence les uns contre les autres et crée des conditions de travail
beaucoup moins généreuses, par exemple, des horaires flexibles, aucune
garantie d’heures travaillées et une disponibilité en tout temps.
«En conséquence, les entreprises connaissent un taux de roulement
élevé, des conflits de travail, elles doivent gérer du harcèlement
moral et de la détresse psychologique. Les travailleurs perdent toute
loyauté envers l’employeur», de conclure M. Soares.
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