L’homme qui a transformé le monde des biberons et du
parachutisme, le «patenteux» Jean St-Germain, s’est éteint cette fin de
semaine, laissant un impressionnant héritage.
Naissance :
«Il
était sans cesse en train de penser aux façons d’améliorer ce qui
l’entourait. Il était capable de tout réparer», raconte Gina St-Germain,
une des filles de l’inventeur.
À l’âge de 16 ans, après avoir recommencé trois fois sa quatrième
année du primaire, le jeune homme avait eu la brillante idée de
remplacer la bouteille de verre d’un biberon par un sac en plastique qui
s’aplatit à mesure que le bébé boit.
Jean St-Germain : Retour vers le futur
JEAN ST-GERMAIN a mis sur pied plus d’une centaine
d’inventions. Certaines à vocation pratique comme le biberon
anticolique, d’autres carrément ésotériques comme sa pyramide d’énergie.
Patenteur de pacotille ou Léonard de Vinci québécois? Nous avons
rencontré le singulier personnage.
Si, d’aventures, vous avez emprunté l’autoroute 20 dans les environs
de Saint-Hyacinthe, vous avez sans doute remarqué le petit village de
Saint-Simon-de-Bagot. Petite bourgade dortoir aussi sympathique que ses
voisines, elle abrite quelques-unes des insolites inventions de
Jean St-Germain, visibles depuis l’autoroute: une pyramide, une immense croix érigée pour l’an 2000, un restaurant robotisé et un aérodium.
Les lieux n’appartiennent plus à Jean St-Germain, mais l’inventeur
aime bien errer dans les parages, rêvassant à une quelconque invention.
Avec sa longue barbe poivre et sel qui lui dévore le visage et qui
retombe à mi-torse, l’homme de 64 ans arbore un look qui n’est pas sans
rappeler celui de De Vinci. "J’ai toujours eu l’imagination fertile,
raconte-t-il. Quand je vois un besoin, mon cerveau s’active et j’essaye
toujours de trouver une solution. C’est comme ça que j’ai gagné ma vie
et que je la gagne encore aujourd’hui."
Du biberon à l’aérodium C’est à l’âge de 16
ans que Jean St-Germain crée sa toute première invention, le biberon
anticolique. Intrigué par sa belle-soeur qui tapotait le dos de son bébé
pour faire passer ses coliques, il songe à un biberon qui serait exempt
d’air: "Quand j’ai compris que les rots et les coliques des bébés
étaient dus à l’air, j’ai pensé à mettre le lait dans une balloune et à
faire un trou au fond de la bouteille, mais la balloune ne fonctionnait
pas bien, alors j’ai utilisé un condom et ça a bien marché!"
Ce qui devait être la première d’une série d’inventions lui
rapportera bien peu au regard des millions qu’elle génère encore
aujourd’hui chez la compagnie Playtex: un chèque de 1000 $. Mais l’homme
est lancé et dès lors il multiplie les créations. "Travailler à l’heure
pour moi, ce n’était pas suffisant pour nourrir ma femme et mes 12
enfants, alors il fallait toujours que je crée."
L’aérodium est l’une des inventions les plus marquantes de
St-Germain. Mise au point en 1980, la machine – espèce de silo au fond
duquel une immense hélice souffle de l’air – simule l’état de la chute
libre auquel sont confrontés les parachutistes. Particulièrement
populaire, l’aérodium a été l’hôte d’une scène de la série
Lance et Compte.
Un second aérodium, à ciel ouvert celui-là, a vu le jour en 1990. C’est
celui que l’on peut voir sur le site voisin de la pyramide et qui
s’apparente à une gigantesque piscine hors terre.
Le resto-robot Insatisfait de jouer les
inventeurs, St-Germain s’est fait le plus insolite des restaurateurs en
bâtissant l’Extra-terrasse, un restaurant où le service était assuré par
un robot. "L’idée était de mettre sur le marché l’équivalent d’un
Valentine ou d’un McDonald qui aurait l’apparence d’une soucoupe
volante", résume-t-il. Construit en 1992 sans les moindres plans sinon
ceux imprimés dans son cortex, le fameux restaurant avait tout pour
séduire jeunes et moins jeunes: véritable soucoupe de verre avec
antennes sur le toit, on y prenait place en s’asseyant sur des
banquettes roses émergeant d’improbables météorites. On y trouvait des
extraterrestres et bien sûr un robot se déplaçant sur rails. "Le robot
allait porter la commande et parlait aux gens, se remémore l’inventeur. À
l’intérieur du restaurant, il y avait une personne qui s’occupait
uniquement du robot. Elle entendait ce que les gens disaient et elle
leur répondait à travers le robot."
Populaire, le fameux concept? Pensez-vous! À l’intérieur de deux
mois, l’inventeur dit avoir amassé pas moins de 280 000 $. Oubliez les
Planet Hollywood et autres Burger King, c’est à l’Extra-terrasse que
l’on se rassemblait. Les files d’attente pour le restaurant étaient
interminables, on patientait parfois jusqu’à deux heures avant de goûter
à son hamburger venu d’une autre galaxie ou à ses poutines aux objets
fondants non identifiés. Pourtant, St-Germain a fermé les portes de la
soucoupe moins de six mois après l’ouverture, débordé par la gestion de
21 employés et d’un robot dont les circuits faisaient parfois la grève.
"J’aime inventer, mais je n’aime pas opérer les commerces, indique-t-il.
Lorsque la tête est occupée à l’administration, le cerveau n’est plus
libre pour inventer."
L’Extra-terrasse a connu un second souffle l’espace de quelques
années, mais a de nouveau fermé ses portes aux terriens il y a deux ans.
Racheté selon les dires de M. St-Germain par un politicien municipal
membre de l’équipe de Pierre Bourque, le restaurant devait donner
naissance à une foule de franchises, mais quelqu’un se serait sauvé avec
l’argent de la caisse. Si vous arrêtez à Saint-Simon, vous verrez tout
de même que derrière son mur de vitre, le resto est encore prêt à servir
ses spout-frites et ses comètes-burger. "Maintenant, ça ne me fait plus
rien de voir ça inactif, confie l’inventeur avec un léger pincement de
coeur. J’aurais bien voulu que quelqu’un fasse quelque chose de beau
avec ça… Mais un jour, ça rouvrira, j’en suis certain."
Du physique au spirituel Jean St-Germain ne
s’est pas contenté de mettre au point des inventions terre à terre,
pratiques ou amusantes. Il s’est aussi aventuré en territoire ésotérique
et spirituel, ayant été lui-même, selon ses dires, en proie à diverses
expériences mystiques. Ainsi a-t-il érigé tour à tour une pyramide, un
anneau transitionnel et un cylindre géomagnétique, la première
ressourçant l’énergie de l’individu, le deuxième ses émotions et le
dernier, son physique. Le petit bâtiment adjacent à sa pyramide, où sont
situés les bureaux de Pyra-croix (la compagnie gestionnaire des lieux),
donne accès à ces inventions. Au fil des ans, l’immeuble est devenu un
véritable centre de santé ésotérico-spirituel.
Vous croyez que St-Germain a mal digéré l’un des hot dogs-fusées de
l’Extra-terrasse? Que du génie à la folie il n’y a qu’un pas et qu’il
l’a franchi? Il vous assurera qu’il n’en est rien, bien que peu enclin à
expliquer le fonctionnement et les théories de ses inventions. "C’est
toutes des affaires flyées, maugrée-t-il. Je ne suis pas sûr que tu
doives expliquer leur fonctionnement à tes lecteurs parce que c’est
vraiment difficile à comprendre." Puis il se ravise et explique les
principes qui régissent sa pyramide: "On se demande encore aujourd’hui
pourquoi et comment les Égyptiens ont fait les pyramides. S’ils ont bâti
dans le désert plutôt qu’au Caire, c’est pour que la masse de la
pyramide soit isolée du sol et pour qu’il y ait un champ magnétique. Le
sable a servi d’isolant. Alors moi, j’ai fait une pyramide avec les
moyens d’aujourd’hui: elle est isolé du sol par huit pieds de
styromousse. Quand tu vas à l’intérieur de la pyramide, tu t’aperçois
qu’il y a un contact qui se fait avec tes ancêtres, même si tu n’y crois
pas. C’est comme si, dans la pyramide, le cerveau humain s’amplifiait
et ressentait ce contact-là."
Vous êtes sceptiques? Sachez qu’ils sont plusieurs à avoir été confondus, à commencer par
Lucie Lacharité,
l’une des propriétaires de Pyra-croix. "J’ai acheté parce j’y crois,
explique-t-elle. J’aimerais que tout le monde passe seulement une fois
dans la pyramide, car tant et aussi longtemps qu’on n’est pas allé à
l’intérieur, on ne peut pas s’imaginer ce que l’on peut aller chercher."
Selon Mme Lacharité, la pyramide compte de nombreux fidèles qui
reviennent année après année depuis son ouverture, en 1982. Ces derniers
temps, la popularité des lieux est même à la hausse. "Les gens ont
besoin de s’accrocher à quelque chose et d’aller chercher de l’énergie
parce que tous les événements des États-Unis les ont vidés de leur
énergie", explique-t-elle.
Le chemin de croix Dernière invention marquante
de Jean St-Germain, la croix de Saint-Simon a été érigée en 2000, après
quatre années de travail. Juchée sur un petit immeuble de trois étages
qui relate de façon iconographique le parcours du Christ, l’immense
croix, un "hommage à nos ancêtres" selon St-Germain, est devenue pour
plusieurs un lieu de recueillement. On allume parfois ses 2000 lumières
et certains s’y sont même mariés.
Au troisième étage du petit bâtiment sis en dessous de la croix, on
trouve un autel où est disposée une statue de cire de Jésus-Christ. Sur
le sol, de la terre sainte importée d’Israël, documents à l’appui. Et
entre les visiteurs et la statue, une pierre que tous sont invités à
toucher. "C’est incroyable tout ce que les gens ont ressenti là et tout
ce qui s’est passé là, commente St-Germain. C’est une question de
physique et de spiritualité. Avec mon intention matérielle et en faisant
venir les matériaux, j’ai posé un acte physique. Et les gens qui se
déplacent pour venir poser le geste, toucher à la roche, ça aussi, c’est
physique. Alors même si les gens n’y croient pas, il y a quelque chose
qui se passe et ils le ressentent."
Après plus de 50 ans d’une carrière ponctuée de hauts et de bas, de
réussites et d’échecs, St-Germain continue d’inventer. Déçu que le
gouvernement n’ait jamais accepté son projet de mégapyramide funéraire
avec laquelle il aurait voulu éponger les dettes des deux paliers de
gouvernement, il continue d’aller de l’avant. Ces jours-ci, il travaille
à de petits coffrets hermétiques en acier inoxydable qui pourraient
contenir quelques souvenirs des gens et qui seront fixés à sa fameuse
croix. "Même si je n’ai plus rien, je suis content de ma vie, dit-il.
J’ai créé des milliers d’emplois à travers le monde et c’est ma fierté."
On étaient servit par un Robot !
Ses inventions:
Le biberon sans air, en 1953
♦ L’avion moto-plane, en 1970
♦ L’Aérodium, en 1980
♦ La croix illuminée de Saint-Simon de Bagot en 2000
♦ Le restaurant robotisé, Extra-terrasse, en 1992
♦ La pyramide d’énergie, en 1982
Source.: