Malgré les nombreuses campagnes de sensibilisation, les enfants demeurent les grands oubliés de notre société, déplore le Dr Gilles Julien, avec qui le Journal s’est entretenu à l’occasion de la sortie de son livre À hauteur d’enfant. « Nous les laissons tomber », constate-t-il.
Question - Vous affirmez être un homme discret, qui préfère que les projecteurs soient sur les enfants plutôt que sur vous. Pourquoi alors avoir choisi de raconter une partie de votre vie dans ce livre ?
Réponse - J’ai accepté de me livrer, car je me rends compte que bien des gens comprennent mal la nature de mon travail. Je me fais souvent arrêter dans la rue par des personnes qui veulent me féliciter à propos de mon implication auprès des enfants, mais qui connaissent peu la pédiatrie sociale. Avec ce livre, je vais pouvoir montrer ce que nous faisons à nos deux centres de pédiatrie sociale, en plus de sensibiliser la population au sort des enfants.
Question - Quel portrait dressez-vous de la situation des enfants au Québec ?
Réponse - C’est assez paradoxal. On observe d’un côté que les parents des classes moyennes à supérieures s’impliquent beaucoup plus auprès de leurs enfants depuis quelques années. On ne voit pas ça chez les enfants qui proviennent de milieux défavorisés. La pauvreté est lourde et s’étend de plus en plus. Quand j’ai commencé ma pratique, Hochelaga était l’endroit le plus pauvre de la ville. Maintenant, la carte de l’indice de défavorisation de Montréal est criblée d’îlots de pauvreté : Montréal-Nord, Verdun, Lachine, etc. C’est vrai aussi en région. Par exemple, le Vieux-Hull ressemble beaucoup à Hochelaga.
Question - Croyez-vous que la population est assez sensibilisée au sort des enfants défavorisés ?
Réponse - Je ne crois pas. Lors de nos guignolées, il y a des centaines de personnes qui viennent nous voir et qui ressortent de nos locaux avec la larme à l’œil. Je suis à peu près certain qu’ils passent à autre chose le lendemain matin. Et nos décideurs politiques ne font rien. La population doit savoir qu’on échappe environ 30 % de nos enfants au Québec, qu’environ un enfant sur trois tombe entre les mailles du système. Ils n’ont pas accès à tous les outils nécessaires pour se développer. On ne peut pas se permettre ça.
Question - Vous misez sur une approche communautaire et affirmez que, de manière générale, l’on compte beaucoup trop sur le gouvernement. Pourquoi ?
Réponse - Je crois qu’il faut arrêter d’attendre après l’État pour qu’il s’occupe de nos enfants. Ça ne fonctionne pas bien. Il n’y a qu’à regarder les taux de décrochage, de violence et de signalements à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pour s’en convaincre. Nous avons développé des mécanismes qui impliquent le milieu de l’enfant, et ça marche. Quand on entend un enfant pleurer et qu’on appelle immédiatement la DPJ, ça ne règle rien et ça crée beaucoup de stress. En dehors des cas graves, on peut régler beaucoup de choses avec un simple de coup de fil, en impliquant un voisin ou en ayant recours à une ressource. On évite bien des problèmes en demandant simplement à une personne si on peut l’aider.
Question - Qu’est-ce que le gouvernement pourrait faire ou mettre en place pour améliorer le sort des enfants en difficulté ?
Réponse - Plusieurs pays ont une espèce d’ombudsman qui veille au respect des droits des enfants. Il peut interpeller directement le gouvernement s’il voit des anomalies et veille à ce que la machine gouvernementale respecte les enfants. Ça serait important d’avoir la même chose ici. Une espèce de bureau des enfants qui aurait de l’autorité, et les dents nécessaires pour les protéger.
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