Le piratage IPTV, nouveau cauchemar des ayants droit
Des
groupes mafieux commencent à inonder la France et l’Europe avec des
boîtiers Android pré-configurés qui permettent de visionner en direct
toutes les chaînes payantes pour une somme dérisoire. Un phénomène
inquiétant.
Pour les ayants droit en France, l’année 2017 a plutôt été un bon cru avec l’arrêt du site t411 et une réponse graduée
qui tourne désormais à plein régime. Mais la lutte contre le piratage
des œuvres audiovisuelles est loin d’être finie. L’année 2018 pourrait
même marquer le début d’un nouveau phénomène de masse : le piratage
IPTV.
Il consiste à regarder des flux télévisuels gratuits ou payants en
direct, généralement au travers d’un boîtier Android pré-configuré, le
tout étant piloté par des organisations plus ou moins mafieuses.
Il y a quelques jours, une opération de police menée en Grèce, en
Bulgarie et à Chypre a justement permis de démanteler un groupe qui
proposait un service d’accès à 1200 chaînes gratuites et payantes, pour
20 euros par mois. L’offre était diffusée à travers l’Europe par
l’intermédiaire d’un réseau de revendeurs.
Selon TorrentFreak,
elle comptait plus de 500 000 abonnés, ce qui représenterait un chiffre
d’affaire de 60 millions d’euros par an. L’infrastructure – basée en
Bulgarie – était impressionnante. Les policiers ont mis la main sur 84
serveurs et 70 récepteurs satellite. Toute cette organisation criminelle
aurait été pilotée par un homme d’affaire grec, également patron d’un
hébergeur bulgare qui aurait abrité en partie cette infrastructure. On
n’est jamais mieux servi que par soi-même.
En Amérique du Nord, l’heure à la guerre juridique.
Il y a quelques jours, un groupe d’ayants droit – incluant Netflix,
Disney, Amazon et Universal – ont porté plainte contre les fabricants de
« Dragon Box ».
Vendu à partir de 250 dollars, ce boîtier Android s’appuie sur le
système multimédia Kodi et embarque plus de 80 extensions qui donnent
accès à des contenus manifestement contrefaits.
D’après la plainte déposée, les fabricants attirent le chaland avec des phrases choc telles que « Débarrassez-vous de vos chaînes premium… Arrêtez de payer pour Netflix et Hulu ». Pour leur part, les fabricants estiment ne rien faire de mal. Selon Ars Technica,
ils disent ne fournir aucun contenu pirate, ils faciliteraient
simplement l’accès à des ressources en ligne. La nuance est subtile. Les
fabricants revendiquent 250 000 clients dans le monde et 374
revendeurs.
En tous les cas, pirater les chaînes TV n’est plus un usage marginal en Amérique du nord. Selon une étude du cabinet Sandvine, 6,5 % des foyers américains consomment désormais ces flux illégaux, soit environ 7 millions d’abonnés.
Pour les pirates, cela représenterait un pactole de plus de 840 millions
de dollars par an (en prenant 10 dollars comme tarif mensuel moyen pour
accéder aux flux piratés). Pour les ayants-droit, c’est un manque à
gagner théorique de 4,2 milliards de dollars par an.
Les contenus les plus piratés sont les chaînes Premium de type HBO et –
bien sûr – les chaînes sport. Compte tenu des énormes investissements
nécessaires pour produire ces contenus, on comprend mieux pourquoi les
visages s’allongent dans les directions des groupes audiovisuels
américains.
La France est moins touchée... pour l'instant
Au Royaume-Uni, le piratage IPTV est encore plus fort. Selon une étude de YouGov,
10 % de la population adulte (4,9 millions d’individus) disposent d’un
boîtier pré-configuré et l’utilisent à des fins illicites.
L’organisme de protection de la propriété intellectuelle, FACT, estime, par ailleurs, que près de 600 pubs seraient équipés de ces appareils (lire le rapport gouvernemental,
page 65). Depuis 2016, des revendeurs de boîtiers préconfigurés se font
régulièrement arrêter outre-Manche. Mais alors, qu’en est-il en
France ?
Pour l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA), il n’y a pas encore le feu au lac. « Les
boîtiers préconfigurés représentent une tendance relativement récente
qui prend de l’ampleur et que nous surveillons comme le lait sur le feu.
Ceci étant, ils ne sont pas aussi diffusés en France que dans les
autres pays. Dans la communauté francophone, le développement
d’extensions Kodi est relativement faible. Par ailleurs, le paramétrage
de boîtiers Kodi reste quand même assez complexe », estime Frédéric Delacroix, secrétaire général de l'ALPA.
L’association préfère, pour l’instant, concentrer ses efforts dans la
lutte contre le live streaming sur Internet. En décembre dernier, elle a
d’ailleurs contribué à la fermeture d’Artv.watch.
Lancé par un adolescent peu prudent, ce site n’a cessé de croître en
audience. Selon Médiamétrie, il était fréquenté par plus de 150 000
visiteurs uniques par mois. Dans un message vidéo, l’auteur s’excuse platement pour ses mauvaises actions.
4 % des internautes français utilisent des boîtiers Kodi
Mais le germe néfaste des boîtiers pirates est bel et bien planté
dans l’Hexagone et occupe déjà les esprits des comités de direction.
Ainsi, le directeur général d’un groupe audiovisuel nous confie que le
piratage IPTV est « un sujet majeur ». Et il a raison.
Contactée par 01net.com, la Hadopi nous explique que dans le cadre d’un
sondage effectué entre le 25 janvier et le 2 février 2017 (étude « Risques encourus sur les sites illicites »), il apparait « que 14 % des internautes connaissaient le logiciel Kodi et que 4 % l’avaient déjà utilisé ». Parmi les utilisateurs ayant régulièrement des usages illégaux, ces chiffres montent respectivement à 26 % et 8 %.
En France, le piratage IPTV est donc moins important qu’ailleurs, mais il n’est pas négligeable. « C’est
un phénomène émergent qu’il faut interrompre avant qu’il ne se
développe. C’est pourquoi la Hadopi a décidé de s’emparer de ce sujet », nous assure Pauline Blassel, secrétaire générale déléguée.
Pour mieux appréhender cette nouvelle forme de piratage, l’autorité
publique est en train de conduire plusieurs études en parallèle qui
devraient être achevées au premier trimestre 2018 pour une publication
au deuxième trimestre. Une étude technique vise à cartographier
l’écosystème Kodi.
Une étude socio-économique confiée à l’Idate devra déterminer l’impact
des usages et une analyse prospective. Enfin, une analyse juridique vise
à proposer des pistes d’actions sur la base des jurisprudences en
Europe et à l’étranger.
La jurisprudence se précise
De ce point de vue, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a
d’ores et déjà émis des signaux encourageants pour les ayants droit.
Dans sa décision du 26 avril 2017,
qui était relative à des boîtiers baptisés Filmspeler, commercialisés
aux Pays-Bas, l’institution a statué que la vente de boîtiers configurés
à des fins illicites pouvait constituer une atteinte au droit d’auteur.
Par ailleurs, le visionnage de contenus piratés, s’il est fait de
manière délibérée et en connaissance de cause, peut également être
illicite et considéré comme de la contrefaçon. « En France, la contrefaçon est un délit dont la sanction peut aller jusqu’à 3 ans de prison et 300.000 euros d’amende », rappelle Pauline Blassel.
Mais si le droit se clarifie, son application est une autre paire de
manche. Les acteurs du piratage IPTV opèrent souvent de l’étranger et
commencent déjà à inonder le marché français en douce.
Sur les places de marché usuelles du Web, on peut trouver des dizaines
de boîtiers pré-configurés et adaptés au goût des consommateurs
français, avec accès à des centaines de chaînes en direct. « J’ai
acheté mon boîtier sur Internet pour 65 euros auprès d’un revendeur
chinois. Une fois le colis reçu, je l’ai contacté par messagerie pour
avoir les codes d’accès au bouquet TV. Le service est activé pour un an.
Ensuite, je peux le prolonger pour un an supplémentaire en payant 30
euros », nous confie un utilisateur qui souhaite garder l’anonymat.
Pour récupérer tous ces flux en direct, ce n’est pas compliqué. « Ces
acteurs exploitent une faille dans la technologie HDCP [High-bandwidth
Digital Content Protection, ndlr], censée protéger l’interface de sortie
HDMI. Ils cassent la protection, récupèrent le flux, le recompresse et
le diffuse en streaming. Compte tenu des outils disponibles en open
source et des ressources matérielles du cloud, créer une telle
infrastructure ne nécessite pas une grande technicité », nous explique Alain Durand, président de Content Armor, un éditeur spécialisé dans le tatouage numérique de contenus audiovisuels.
Prêchant pour sa paroisse, il pense que le watermarking est une
bonne manière pour lutter contre ce phénomène. Cette technologie permet
en effet d’identifier la source de captation et, le cas échéant, de
révoquer le décodeur ou la carte d’abonné utilisé par les pirates.
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