Jean-Pierre Elkabbach s'inquiète de l'avenir du métier de journaliste à l'ère du Web participatif (Le Monde du 4 janvier). Il a raison. Mais la solution ne saurait setrouver dans une appellation journalistique contrôlée (par qui ?). Le Web 2.0 n'est pas une déontologie, c'est un outil qui a déjà tout changé. Qu'on le veuille ou non, le temps où une petite élite journalistique décidait de ce qui se dit et ne se dit pas et de qui a le droit de le dire est déjà révolu.
Sur le Net, rien n'est jamais définitif. Tout est soumis à la critique en temps réel. Les citoyens ne veulent plus, par exemple, qu'on leur dise qui a ou non les qualités requises pour
être candidat aux élections. L'une des raisons pour lesquelles la
France compte un tel nombre de
blogs - et probablement davantage qu'aux Etats-Unis si on le rapporte au nombre d'habitants - s'explique par la déception des citoyens vis-à-vis des
médias "dominants".
Davantage que d'une "évolution" du journalisme, il s'agit plutôt d'un retour aux sources, avec des moyens artisanaux. Les blogs permettent, pour un coût quasi nul, de s'
adresser à un large public devant lequel notre responsabilité personnelle est engagée. Sur Internet, comme chacun le sait, le "pire" côtoie le meilleur. Mais, après tout, ce n'est pas le privilège des blogs ! A terme, les réputations, bonnes ou mauvaises, redistribueront les cartes aussi sur Internet.
En principe, nous autres journalistes ne publions rien qui n'ait été préalablement vérifié et recoupé. Mais il faut parfois
aller chercher dans des journaux étrangers des informations sur notre propre vie
politique ! C'est ce que le public reproche aux journalistes français en se tournant vers Internet, où il a l'impression qu'en tout cas, même s'il peut
être abusé, on ne lui cache rien. A lui d'
apprendre à
faire le tri ou à qui s'
adresser pour l'
aider à le
faire.
Prenons deux exemples "limites" du défi qui est lancé aux journalistes : les internautes sont particulièrement friands des théories conspirationnistes sur les événements du 11 septembre 2001. Ces thè
ses sont particulièrement perverses et difficiles à
contester. Aucun journaliste sérieux ne peut les
cautionner. Mais
exciper de sa qualité et de sa déontologie journalistique ne suffit pas. A terme, il faut
parier sur l'intelligence et ne pas
donner l'impression de
vouloir cacherquelque chose.
Deuxième exemple : les images de la pendaison de Saddam Hussein tournées sur un téléphone portable et diffusées sur Internet. L'accession du grand public aux nouvelles
technologies a rendu caduc le débat déontologique sur les images que l'on peut
montrer ou pas. Mieux : ces images, en montrant cette exécution sous son véritable jour, ont dit la vérité et découragé toute tentative d'
écrire une version officielle. Mais ces images ne rendent pas superflue une
enquêtejournalistique sur les circonstances de la pendaison, chose qui n'est pas à la portée de n'importe quel blogueur propriétaire d'un téléphone mobile.
Prenons, enfin, l'argument de la gratuité. Il a déjà été utilisé contre la presse gratuite. Elle était censée
constituer une concurrence déloyale aux "vrais" journalistes.
Or il est prouvé qu'elle a attiré un nouveau lectorat. Certes, tout ce qui est de bonne qualité a un coût. Mais c'est aux diffuseurs de
rendre solvable la demande d'information. Après tout, il n'est pas nécessaire de
payer avant de
pouvoir écouter la radio !
La publicité est un moyen détourné de
faire payer l'élaboration de l'information par le consommateur. Comme les radios "libres" dans les années 1980, le Web 2.0 est en train d'
obliger les journalistes à se
remettre en question. Et tant mieux. Il est illusoire de
prétendre arrêter ce mouvement, comme il est vain de
vouloir stopper la mondialisation économique. Est-ce qu'on arrête le courant avec ses mains ? Il vaut mieux
apprendre à
nager !
REF.: Sylvain Attal est journaliste à France 24 et blogueur.
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