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vendredi 31 décembre 2021

Les algorithmes sont-ils nos nouvelles divinités ?

 

Les algorithmes sont-ils nos nouvelles divinités ?

Si l’on compare les  intelligences artificielles aux dieux du Panthéon grec, il en ressort une classification fertile qui met en lumière combien l’homme joue avec le feu en créant des algorithmes à son image, qu’il vénère tantôt et auxquels il se soumet parfois, au risque de devoir tôt ou tard les affronter.

 

Les dieux du Panthéon grec se distinguent du Dieu de la tradition judéo-chrétienne d’au moins cinq façons :

1.      Ils sont multiples et incarnent chacun une qualité (Aphrodite et l’amour, Hermès et le commerce, Apollon et la sagesse, Athéna et la prudence guerrière, Zeus et la puissance, etc.) séparément, au lieu d’être réunis à l’intérieur d’un seul dieu.

2.      Ils ont des défauts, des faiblesses, des limites comparables à celles des hommes. D’ailleurs, ils les jalousent parfois, sont tantôt injustes avec eux, tantôt trop cléments, ils couchent avec eux, enfantant par là même des demi-dieux, s’enivrent, etc.

3.      Ils sont parfaitement dépendants des hommes qu’ils manipulent, utilisent, impressionnent, envient, séduisent… pour atteindre leurs fins, souvent motivées par des passions, toutes humaines (désir de vengeance, quête de pouvoir, rébellion, relation adultérine…).

4.      Leur propre survie n’est pas acquise et ils doivent lutter sans relâche pour ne pas disparaître de la terre ou du ciel. Zeus lui-même, le plus puissant des dieux est le descendant et survivant d’une lignée de divinités décimée par les guerres intestines. 

5.      Ils sont machistes, pour ne pas dire phallocrates, et fournissent à notre culture les germes d’une inégalité homme femme qui perdure encore aujourd’hui.

Un peu d’ordre

Le numérique possède lui aussi son panthéon dans lequel, telles des divinités, les intelligences artificielles se disputent la faveur des hommes, le pouvoir, l’ascendance sur les autres intelligences ou leur propre survie…

Certaines ressemblent au dieu Zeus, en favorisant le pouvoir, en cherchant à dominer leurs concurrents à tout prix et à affirmer leur empire. On aura reconnu Page Rank de Google. D’autres font davantage penser au dieu Apollon, en se concentrant sur les compétences, la capacité des individus à tenir leur rôle, le respect des règles de vie en groupe dans son ensemble. LinkedIn figure sans doute dans cette catégorie.


D’autres, encore, se rapprochent de la déesse Athéna, en se penchant sur les résultats, l’atteinte des objectifs, la réussite individuelle. On pensera à Siri d’Apple, aux wearables ou plus simplement à l’algorithme d’Uber.

Les derniers ressemblent au dieu Dionysos, par leur tendance à privilégier la réalisation personnelle des individus, la créativité, l’enthousiasme, l’élan personnel, l’audace. Pinterest, Instagram, Facebook, TikTok en sont des archétypes.

Ni Dieu, ni maître

Tel Ulysse, nous voici condamnés à voyager et à affronter des épreuves, que les dieux mettront sur notre route, au cours d’une odyssée qui nous conduira dans une région du futur encore inconnue des hommes.

« S’il était parmi nous, Prométhée nous aurait-il donné des algorithmes ? »

Ferons-nous comme Prométhée qui se rebella contre les dieux, en donnant le feu aux hommes et en leur permettant de marcher sur leurs seules deux jambes- contrairement aux autres espèces – leurs permettant ainsi d’inventer des outils et d’intervenir sur le monde terrestre au point d’exercer une domination sur le vivant, de le façonner et à présent de le détruire. S’il était parmi nous, Prométhée nous aurait-il donné des algorithmes ?

Serons-nous punis par Dieu, comme ces peuples qui, selon la Bible, parlaient une langue commune et mirent leurs forces en commun pour construite un édifice plus grand que Dieu lui-même, la tour de Babel ? Une audace que le divin ne leur pardonna pas en détruisant la tour et en divisant les hommes en leur attribuant des langues différentes. Dieu verra-t-il dans l’intelligence artificielle qui semble vouloir recouvrir le monde, une nouvelle tour de Babel ?

La Tour de Babel vue par Pieter Brueghel l'Ancien au XVIème siècle.

Devrons-nous accepter de détruire de notre propre main ce que nous avons enfanté tel le héros Arjuna de la mythologie Indienne, qui dans le Bhagavad-Gita, le joyau de la littérature védique et la clef de voûte du Mahabharata, est en proie à un questionnement moral paralysant l’action ? Comment entrer en guerre contre sa propre famille, son propre royaume ? Le personnage de Krishna, qui sut si bien libérer Arjuna de sa torpeur, saura-t-il faire de même avec nous ?

« Saurons-nous contempler les algorithmes avec ferveur pour mieux nous en libérer ? »

Réfugierons-nous, comme les moines de la tradition Zen, dans la méditation et la lecture de Koans afin de revenir à l’essentiel et libérer nos esprits des ornières dans lesquelles la réalité se plait à les laisser s’embourber. Saurons-nous contempler les algorithmes avec ferveur pour mieux nous en libérer ?

Régulerons-nous tout le mal que nous fait l’intelligence artificielle avec des Minkondi africains, en allant planter avec violence un clou dans ces statues rituelles publiques, laissées à l’extérieur des villages congolais, chaque fois qu’une mauvaise pensée nous traverse (envie de vengeance, désir de violence, jalousie…) ? Les smart-cities, que l’intelligence artificielle ambitionne déjà de réguler, leurs réserveront-elles une place ?

Quel est le talon d’Achille de l’intelligence artificielle, des algorithmes et de ce qui les rend possible ? Peu importe. Il est préférable de comprendre que le véritable talon d’Achille, de l’homme cette fois-ci, n’est pas tant sa faiblesse originelle, mais son penchant naturel pour incessamment tenter de s’en libérer.

 
Bertrand Jouvenot
- 6 décembre 2021
 
REF.:   https://usbeketrica.com/fr/article/les-algorithmes-sont-ils-nos-nouvelles-divinites?utm_campaign=Mon%20Carnet%20-%20l%27infolettre&utm_medium=email&utm_source=Revue%20newsletter

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