La
 GRC utilise depuis plus de cinq ans des logiciels espions lui donnant 
accès à des données pour des personnes faisant l’objet d’enquêtes.
                    
    
    
                        
                        (Ottawa)
 Accès instantané aux caméras et aux micros d’appareils mobiles, aux 
photos, vidéos, textos, entrées de calendrier, documents financiers : la
 GRC utilise depuis plus de cinq ans des logiciels espions lui donnant 
accès à ces données pour des personnes faisant l’objet d’enquêtes.
 
Une série d’articles
 du site Citizenlab, associé à la Munk School of Global Affairs de 
l’Université de Toronto, a rapporté dès 2016 l’existence d’un logiciel 
espion nommé Pegasus,
 créé par la firme israélienne NSO Group. Le Canada faisait partie des 
45 pays où se trouveraient des personnes suspectées d’exploiter ce 
logiciel.
Le député conservateur de Colombie-Britannique Van Popta a obtenu en 
juin de cette année une réponse à une question déposée devant le 
Parlement qui prouve l’utilisation de ce type de logiciels par la GRC. 
Le programme est nommé Équipe d’accès secret et d’interception des 
Services d’enquêtes techniques, ou EASI SET. 
                    
                    
        
                    Par: Mélanie Marquis,
                            La Presse
            
 
                        La
 police fédérale vient de discrètement dévoiler qu’elle a recours à ces 
méthodes – et qu’elle le fait sans avoir consulté le commissaire à la 
protection de la vie privée du Canada au préalable. 
                        Créé
 en 2016, le programme est géré par l’Équipe d’accès secret et 
d’interception (EASI) de la Gendarmerie royale du Canada (GRC). 
                        Cette
 division est munie d’« outils d’enquête sur appareil ». Installés sur 
« un appareil informatique ciblé », ces outils permettent « la collecte 
de preuves électroniques à partir de l’appareil […] secrètement et à 
distance », est-il expliqué dans des documents déposés à la Chambre des 
communes avant l’ajournement des travaux, et dont l’existence a d’abord 
été rapportée par le média web Politico. 
                    
                        Que l’on ne s’y trompe pas : un « outil d’enquête sur appareil », c’est un logiciel espion. 
                        « Je ne suis pas étonné d’apprendre que les agences de renseignement canadiennes ont recours à des logiciels malveillants [spyware]
 pour pirater des appareils. J’aurais été plus étonné du contraire », 
commente Ronald Deibert, directeur du Citizen Lab de la Munk School of 
Global Affairs de Toronto. 
                        Ce qui est impératif, selon lui, est d’obtenir davantage de transparence de la GRC sur les fournisseurs de ces technologies. 
                        « Il
 est dans l’intérêt public de savoir avec qui les agences font affaire. 
Pourquoi ? Parce qu’il existe des compagnies, comme le NSO Group, qui 
sont associées avec certains des pires régimes au monde en matière de 
droits de la personne, et qui utilisent les logiciels pour traquer des 
dissidents, des journalistes, des avocats, des membres de la société 
civile – y compris ici au Canada », expose-t-il. 
                        Le
 NSO Group a développé le logiciel espion Pegasus, qui a été utilisé 
exactement à ces fins dans plusieurs pays à travers le monde. 
                        Selon
 les documents fournis aux élus – ils ont été préparés en réponse aux 
questions d’un conservateur –, les données pouvant être recueillies 
comprennent textos, courriels et communications privées envoyées ou 
reçues au moyen de l’appareil ciblé ; photographies, vidéos et fichiers 
audio enregistrés sur l’appareil ou accessibles à celui-ci ; ainsi que 
notes et entrées de calendrier. 
                        « Sérieux risques » individuels et collectifs
                        La GRC n’a pas répondu aux questions de La Presse, mardi, même si elle avait été sollicitée par Politico pour les mêmes motifs il y a près d’une semaine. 
                        Impossible, donc, de savoir quel logiciel est dans sa boîte à outils, ou s’il y en a plus d’un. 
                        Un silence auquel l’Association canadienne des libertés civiles (CCLA) s’attendait. 
                        Mais
 ce qu’elle reproche peut-être par-dessus tout à la GRC, c’est d’avoir 
mené ses opérations à l’aide de ces outils « extrêmement invasifs », en 
l’absence de « toute forme de débat public ou de consultation », et sans
 juger bon de solliciter l’avis du commissaire à la protection de la vie
 privée du Canada. 
                        « Il
 doit être consulté et avoir la possibilité de fournir des 
recommandations avant que de tels outils ne soient déployés, avant 
qu’une potentielle invasion de la vie privée ne se produise », s’est 
désolé Brenda McPhail, directrice du programme de technologie et de 
surveillance de protection de la vie privée de la CCLA. 
                        Dans
 les documents, la GRC reconnaît qu’elle « n’a pas communiqué avec le 
Commissariat » avant la mise en œuvre du programme, en 2016, mais qu’en 
2021, elle « a commencé à rédiger une évaluation des facteurs relatifs à
 la vie privée », et qu’elle attend une rétroaction dans le cadre de ce 
processus de rédaction. 
                        La
 police fédérale y note aussi que les outils et techniques de l’EASI 
« ne sont pas utilisés pour effectuer une surveillance de masse » et que
 leur utilisation est « ciblée et limitée » pour des « enquêtes 
criminelles et de sécurité nationale sérieuses […] seulement après avoir
 obtenu une autorisation judiciaire ». 
                        Il n’y a pour autant rien de bien rassurant là-dedans, estime la CCLA. 
                    
    
                    Les gens qui sont moindrement 
informés sur ces outils savent qu’ils entraînent de sérieux risques pour
 ceux qui font l’objet de surveillance, mais aussi plus largement pour 
notre société, car ils modifient l’équilibre du pouvoir entre les 
policiers et les citoyens, qui ont le droit d’être présumés innocents.
             
            Brenda McPhail, directrice du programme de technologie et de surveillance de protection de la vie privée de la CCLA
     
                        Au
 bureau du nouveau commissaire à la protection de la vie privée, 
Philippe Dufresne, on souligne que « l’utilisation de ce type de 
technologie soulève d’importantes considérations en matière de 
protection de la vie privée ». 
                        Et
 on « attend avec impatience » que la police fédérale explique « comment
 cette technologie sera utilisée, ainsi que les mesures que la GRC 
prévoit de prendre pour s’assurer que son utilisation reste conforme à 
la Loi sur la protection des renseignements personnels », a écrit le porte-parole Vito Pilieci. 
                        Le gouvernement se fait rassurant, l’opposition s’inquiète
                        « Ces
 outils sont utilisés extrêmement rarement », insiste-t-on au cabinet du
 ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino. 
                    
                        Le
 gouvernement s’attend toutefois « à ce que la GRC travaille avec tous 
les agents du Parlement concernés pour s’assurer qu’ils respectent leurs
 obligations envers les Canadiens en ce qui concerne les outils 
d’enquête sur appareil et les autres technologies de ce genre », a noté 
Alexander Cohen, directeur des communications. 
                        Justement :
 chez les conservateurs, le député Pierre Paul-Hus dit être 
« extrêmement préoccupé par le fait que la GRC utilise de nouveaux 
pouvoirs d’enquête sans consulter ni le commissaire à la protection de 
la vie privée ni les parlementaires ». 
                    
                        Et
 ces révélations, a-t-il ajouté, ne font que soulever d’autres 
questions : « Quels types d’enquêtes sont menées avec ce pouvoir, et 
pourquoi le commissaire à la protection de la vie privée n’en a-t-il pas
 été informé ? » 
                        Dans
 le camp néo-démocrate, le député Alistair MacGregor affirme que cela 
justifie « le besoin d’assurer un meilleur contrôle de ce qui se passe 
au sein de la GRC », qui a la « mauvaise habitude » de reconnaître ainsi
 les faits après coup.
                        Le Bloc québécois n’a pas souhaité commenter le dossier. 
                        S’il
 n’est pas « illégitime » pour la GRC et d’autres agences de 
renseignement de déployer de telles méthodes d’enquête, le gouvernement 
doit cesser de « dormir au gaz » et encadrer l’industrie de la 
surveillance, insiste Ronald Deibert, du Citizen Lab. 
 
REF.:  https://www.lapresse.ca/actualites/national/2022-07-06/vie-privee/la-grc-armee-de-logiciels-espions.php?mibextid=GwLpAq