La moitié des avis en ligne sont, au mieux, biaisés et dans le
pire des cas, créés de toutes pièces. Autre problème : la norme et les
techniques pour endiguer ce phénomène « qui explose » sont peu efficaces.
Lorsqu'ils
achètent en ligne, deux internautes sur trois font confiance aux avis
des consommateurs laissés sur la fiche produit,
rapportait Nielsen l'an dernier. Or, une
enquête
de la Répression des fraudes (DGCCRF) conduite en France auprès de 139
établissements depuis 2010 a rapporté que près de la moitié des avis
(44,4%) sont biaisés. Un chiffre en constante inflation.
« Ce phénomène explose de façon exponentielle alors, devant l'étendue des dégâts, nous avons voulu faire un état des lieux »,
nous explique la DGCCRF, qui a formé une équipe de cyber-enquêteurs à
plein temps sur ce sujet voilà quatre ans. Leur objectif est de
débusquer les contrevenants au code de la consommation. En quatre ans,
17 avertissements et 23 procès-verbaux ont été dressés. Explications sur
cette pratique.
Les méthodes de triche
Il existe plusieurs manières de faire reluire son e-reputation et celle
de ses produits. Une pratique répandue identifiée par la DGCCRF est
« la suppression de tout ou partie des avis de consommateurs négatifs au profit des avis positifs ». C'est ainsi que la société eKomi propose aux e-commerçants une
« protection contre la diffusion d'évaluations négatives ou injustifiées » car
« il est important de jouir d'une bonne réputation ».
Au-delà des produits et de leurs commentaires, les boutiques en ligne
elles-mêmes sont évaluées par les internautes. Il existe plusieurs
services de ce genre, comme FIA-NET. Il suffit de se rendre sur ce site
pour vite constater que tous les services référencés brillent par un
« indice de satisfaction » compris entre 9 et 10/10... Présent sur un site de vente, cet indice peut rassurer le consommateur.
« En fait, lorsque des sites marchands contactent FIA-NET, on leur garantit une note supérieure à 9/10 »,
explique un observateur. A cela, l'intéressé répond tout simplement
rompre le contrat lorsque une note descend sous un certain palier.
- Le traitement différencié
Les avis négatifs peuvent être publiés, mais en suivant un processus qui
finira par diminuer leur visibilité. La DGCCRF note que
« des
gestionnaires traitent les avis avec des délais différents selon qu'ils
sont positifs ou négatifs : publication rapide des premiers ;
publication différée des seconds. Cette pratique aboutit à une
présentation trompeuse puisqu'elle fait apparaître une majorité d'avis
positifs parmi les avis récents ».
Ces intermédiaires ont pour habitude de traiter chaque avis négatif
comme un litige entre le consommateur et le marchand et, de ce fait, de
leur réserver une médiation. Et lorsqu'elle aboutit, le message négatif
n'est pas publié... Mais l'internaute ne saura jamais que certaines
transactions ont donné lieu à des médiations.
D'après une étude menée par Orange Labs et Médiamétrie à la fin 2013,
les avis négatifs dissuaderaient jusqu'à 93% des internautes d'acheter
un bien ou un service. Si ce chiffre à lui-seul permet de comprendre
pourquoi certains e-marchands censurent la mauvaise critique, Tom Brami,
fondateur d'Avis-Vérifiés, estime au contraire que
« publier les avis négatifs est la meilleure stratégie, car être transparent, c'est rassurant ».
C'est la forme la plus extrême de manipulation de son e-réputation. Ces
messages peuvent être rédigés par exemple par les équipes du service
clients de l'e-marchand, ou confiés à des prestataires spécialisés,
souvent installés à Madagascar ou à l'Île Maurice, ce qui est le cas de
Rosemees. Melissa Bac, coordinatrice du développement des affaires dans
cette société au millier de salariés, nous explique être capable de
« mettre à disposition rapidement une équipe pouvant assurer une moyenne d'au moins 10 000 mots par jour ».
Au cours actuel, ce volume reviendra à 210 euros. Pour ce prix, l'e-marchand bénéficiera de
« la correction, l'adaptation, la modération, le contrôle linguistique ainsi que tous les droits d'auteurs des textes ».
Quand on demande à Rosemees si ses rédacteurs peuvent produire des
fautes d'orthographe volontaires, car tous les consommateurs ne sont pas
des disciples de Bernard Pivot, la société répond
« éventuellement oui ».
Pour rédiger ces messages bidons, Rosemees explique qu'ils sont
« basés sur une logique, une recherche et sur les expériences d'utilisateurs ».
« L'idée même de la création d'avis est d'inviter des vrais utilisateurs et internautes à participer aux débats », poursuit la société, proposant aussi la rédaction de faux reportages.
Peut-on éviter la manipulation ?
- La norme NF Service - Avis en ligne
Depuis un an, les e-commerçants ont la possibilité de faire certifier leur site par la norme
NF Service - Avis en ligne. Adressé également aux
« tiers de confiance »,
comme Trusted Shops ou Trustpilot, ce label ne peut être délivré que
par Afnor Certification, un organisme lui-même validé par le Comité
français d'accréditation. Cette norme permet entre autres d'encadrer les
règles de collecte, de modération et de publication des avis en ligne
et garantit la transparence, le sérieux et la fiabilité des méthodes
employées par le site marchand.
Pour prétendre à son obtention, l'e-commerçant doit déposer un dossier
de candidature qui déclenchera un audit de son site Internet mais aussi
de ses locaux.
« Une fois le label obtenu, il ne l'est pas une fois
pour toutes. Le contrôle est à renouveler tous les ans et coûte de 3 000
à 5 000 euros », nous explique Benoît Phuez, chef de produit chez
Afnor Certification. Avantage : il s'agit d'un standard, évitant que
chacun ait sa propre recette. D'ici trois ans, cette norme devrait
rejoindre l'Organisation internationale de normalisation.
- Contraignante, elle est peu suivie...
A ce jour, seulement dix entreprises ont réalisé la démarche pour
obtenir le logo NF Service - Avis en ligne. Citons GDF Suez ou LDLC côté
vendeur, et Bazaarvoice ou Avis-Vérifiés côté société de gestion de la
réputation. Malgré un regain d'intérêt depuis la publication du rapport
de la DGCCRF fin juillet et
« des discussions avec de gros acteurs », Benoît Phuez concède que le succès
« n'est pas au rendez-vous ».
« Se mettre en conformité est une phase qui peut prendre du temps pour les grands sites marchands »,
explique-t-il pour justifier le manque d'engouement envers cette norme.
Doit-on lire entre les lignes que ces sites de vente ont une politique
d'avis clients actuellement désastreuse ? Benoît Phuez répond
« qu'on ne peut pas dire ça, mais il y a possiblement des avis biaisés ». Mais pour être certifié, il existe une autre voie.
Au lieu de subir un audit d'Afnor, les e-commerçants peuvent
s'auto-déclarer en conformité. Moyennant 63,20 euros, n'importe qui peut
télécharger le document PDF de 30 pages de la norme NF Z74-501,
contenant les bonnes pratiques, et affirmer les respecter. Dans
l'enquête de la Répression des fraudes, plusieurs cas abusifs ont déjà
été identifiés... Il s'agit là d'une pratique commerciale trompeuse
selon l'
article L121-1 du Code de la consommation. Encore faut-il que le contrevenant soit démasqué par un client ou la DGCCRF.
Celle-ci reconnaît d'ailleurs que la norme NF Service
« est hyper contraignante pour les e-marchands », si bien qu'ils
« sont dissuadés de l'afficher » car
« si ils ne la respectent pas, on leur tombe dessus... ». La Répression des fraudes conçoit cependant que cette certification est encore jeune, le recul pas suffisant.
- Des solutions techniques imparfaites
La première solution pourrait être, curieusement, de laisser faire. Selon une
étude
menée conjointement par Orange Labs et Médiamétrie en novembre 2013,
90% des internautes déclaraient avoir déjà vu de faux avis en ligne,
mais sans pour autant que cela remette en question la crédibilité du
site marchand ou des produits. Malgré cela, autant d'internautes disent
consulter les avis avant d'acheter en ligne, car ils les jugent utiles.
Mais au nom de l'honnêteté intellectuelle, il serait peut-être plus sage
de les éradiquer. Brahim Ben Helal, chargé des ventes pour la France
chez Trustpilot passe en revue les différentes techniques mises en place
par sa société pour
« vérifier la véracité » des avis :
«
Validations de commande, vérifications via le support technique, outils
de contrôle pour détecter des adresses IP similaires et les faux comptes
Facebook, etc. »
Andreas Munzel, maître de conférences en marketing à l'IAE de Toulouse et spécialiste des avis d'internautes
explique
sur le site du CNRS que les travaux des linguistes autour du mensonge
ont conduit à des méthodes pour identifier certaines caractéristiques
propres aux faux avis.
« A l'aide d'indicateurs comme le style ou le
niveau de langage, la longueur du texte ou l'emploi de certains mots,
les chercheurs disent pouvoir distinguer les faux avis des vrais avec 90
% de certitude » - ce qu'ils invitent à tester sur le site Web
Review Skeptic.
Mais ces prouesses
« restent à évaluer », tempère Andreas Munzel, conscient que les agences spécialisées dans les faux avis
« savent adapter leur style de rédaction aux plus récentes avancées des systèmes de détection ». Pour lui, le développement d'un filtre de détection devient
« extrêmement difficile et fragile ».
La dernière piste serait d'imposer aux internautes de s'identifier avec
leur identité avant de pouvoir poster. En attendant, le jeu du chat et
de la souris se poursuit et les clients ne peuvent s'en remettre qu'à
leur flair.
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