The Pirate Bay, T411 : contourner un blocage DNS, c'est trop facile !
Ce n’est pas parce qu’un site est banni par la justice que celui-ci devient réellement inaccessible. Il existe des moyens techniques simples pour contourner ce blocage.
Le 4
décembre dernier, le TGI de Paris a ordonné aux opérateurs Orange,
Bouygues, Free et SFR d’empêcher leurs internautes d’accéder au site
thepiratebay.se ainsi qu’à certains de ses sites miroirs. Cette décision
faisait suite à une plainte de la Société civile des producteurs
photographiques (SCPP), qui voit d’un mauvais œil le partage de contenu
musical protégé par le droit d’auteur. Mais comment ce blocage sera-t-il
mis en œuvre concrètement ? Et peut-on le contourner ? En un mot : oui,
et c'est d'ailleurs tellement simple que ce genre de censure n'a que
très peu d'intérêt. Voici quelques éléments pour y voir plus clair.
Comment les FAI bloquent-ils les sites jugés illégaux ?
Lorsqu’une
décision de justice ordonne le blocage d’un site, le choix technique
est généralement laissé aux FAI. D’après l’Association de fournisseurs
d’accès (AFA), c’est exclusivement le blocage DNS qui est utilisé, pour
des raisons pratiques et de coûts. Le DNS, c’est l’annuaire du web. Ce
système permet de transposer une URL (www.01net.com par exemple) en adresse IP (173.31.6.199 par exemple), utilisable par les routeurs pour acheminer les données du Net.
Lorsqu’un internaute veut accéder à un
site web, son navigateur va généralement récupérer la bonne adresse IP
au travers du résolveur DNS de son FAI. Un résolveur DNS est un logiciel
qui se charge de répondre à une requête DNS, soit directement (parce
qu’il connait déjà l’URL), soit indirectement (en interrogeant le
registre concerné, tel que .COM, .FR ou .SE). C’est au niveau de ce
résolveur que le FAI va mettre en œuvre le blocage ordonné par la
justice. Lorsque son client voudra accéder à un site bloqué, ce logiciel
ne lui fournira pas l’adresse IP recherchée, mais l’aiguillera sur un
message de type « Attention, ce site a été bloqué ou n’existe pas ».
Une fois mis en œuvre, un blocage DNS est-il effectif partout ?
Non.
Tout d’abord, un blocage de site ordonné par la justice française n’est
valable qu’en France. A l’étranger, le site visé pourra donc être
accessible. Par ailleurs, tous les FAI français ne sont pas forcément
concernés par une décision de blocage. Dans le cas de The Pirate Bay,
seuls quatre opérateurs ont été sommés de mettre en œuvre le blocage :
Orange, Bouygues, Free, et SFR. Si vous êtes client de Numéricable ou
d’un FAI associatif, vous n’êtes pas concerné.
Enfin, le blocage n’est effectif que sur
les sites qui sont nommés par la décision de justice. Pour contourner
cette mesure, il suffit donc que quelqu’un crée un site miroir. C’est
d’ailleurs ce que vient de faire le Parti Pirate français pour The Pirate Bay. Pour bloquer ce nouveau site, il faudra lancer une nouvelle procédure judiciaire.
Les internautes peuvent-ils contourner un blocage DNS ?
Oui,
et il existe même plusieurs façons de le faire. La première est
simple, mais pas forcément pratique: changer de FAI. Pour continuer à
télécharger leurs torrents favoris, les fans de The Pirate Bay
pourraient ainsi s’abonner à Numéricable ou à French Data Network, qui
ne sont pas concernés par la décision de justice.
Une autre solution un peu plus
compliquée consiste à changer de résolveur DNS. Cela peut se faire soit
au niveau du routeur d’accès, soit au niveau du terminal. Tous les
routeurs d’accès ne permettent pas de configurer un serveur DNS. Il faut
se reporter à la notice. Sur un terminal, cela dépend du système
d’exploitation. Pour Windows 7, par exemple, il faut aller dans « Panneau
de configuration -> Réseau et Internet -> Connexion au réseau
local -> Propriétés -> Protocole Internet version 4 ->
Propriétés ». Puis il faut cocher la case « Utiliser l’adresse de serveur DNS suivante : » et insérer les adresses IP qui vont bien.
Sur Mac OS X, il faut aller dans « Préférences système -> Réseau -> Avancé -> DNS ». On peut alors renseigner les adresses IP du nouveau résolveur.
Sur iOS ou Android,
on ne peut pas changer de DNS pour une connexion cellulaire : c’est
l’opérateur mobile qui décide, un point c’est tout. En mode Wifi, en
revanche, c’est possible. Il faut aller dans les menus de paramètres.
Pour avoir plus d’informations, voici une note de blog intéressante de Stéphane Bortzmeyer.
D’accord, mais quel résolveur DNS choisir ?
Il existe plusieurs résolveurs DNS qui sont libres d’accès, par exemple Google Public DNS
(8.8.8.8 / 8.8.4.4), OpenDNS (208.67.222.222 / 208.67.220.220) ou celui
de French Data Network (80.67.169.12). Mais choisir un nouveau DNS est
aussi une question de confiance. Que fera Google des données de
connexion qu’il recevra ? Pourront-elles être siphonnées par les
autorités américaines, par le biais du Patriot Act ? Mon nouveau DNS
n’est-il pas soumis à son tour à une procédure de filtrage ou de
blocage ? Ce sont là de vraies questions.
C’est pourquoi certains paranoïaques,
qui ne font confiance à personne, optent pour une autre solution : créer
son propre résolveur DNS. Dans ce cas, on est dépendant de personne.
Mais cette solution est assez technique et dépasse le cadre de cet
article. Les plus téméraires pourront commencer par cette autre note de
blog de Stéphane Bortzmeyer.
Lire aussi:
Changer de serveur résolveur DNS facilement
Première rédaction de cet article le 8 janvier 2012Dernière mise à jour le 9 janvier 2012
La sortie, le 30 décembre 2011, du décret
n° 2011-2122 relatif aux modalités d'arrêt de l'accès à une
activité d'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne
non autorisée, décret qui permet à l'ARJEL de demander le blocage d'un site de paris
ou de jeux en ligne, a ramené sur le devant de la scène la question
du blocage via le DNS. En effet, le décret dit
explicitement « Lorsque l'arrêt de l'accès à une offre de paris ou de
jeux d'argent et de hasard en ligne non autorisée a été ordonné, [...]
les [FAI] procèdent à cet arrêt en utilisant le
protocole de blocage [sic] par nom de domaine (DNS) ». Il existe
plusieurs façons de comprendre cette phrase. Si le FAI décide de
mettre en œuvre cet arrêt en configurant ses résolveurs DNS pour
mentir, un moyen simple
de contourner cette censure sera alors pour les utilisateurs de
changer de résolveur DNS. Est-ce simple ? Est-ce réaliste ? Des
logiciels peuvent-ils aider ?
D'abord, un petit rappel de vocabulaire, car j'ai déjà lu pas mal
d'articles sur le sujet, où l'auteur est plein de bonne volonté et
veut vraiment aider les autres à contourner la censure, mais où il ne
connait pas vraiment le DNS et où il utilise un
vocabulaire approximatif, voire complètement faux. Il y a
deux sortes de serveurs DNS : la première, ce
sont les
serveurs faisant autorité, qui sont ceux qui
contiennent les données (par exemple, les serveurs de
DENIC ont la liste de tous les noms de domaine en
.de
, des serveurs de la société NS14
font autorité pour le domaine shr-project.org
, etc).
L'ARJEL ou un autre censeur ne peut pas
toujours agir sur eux car ils peuvent être situés en dehors de la
juridiction française.
Et il y a les résolveurs DNS. Ils ne
connaissent au démarrage aucune donnée et servent uniquement de
relais et de caches
(stockage temporaire de données). Ils sont typiquement gérés par votre
FAI ou bien par le service informatique de
votre boîte. Ce sont eux qui sont indiqués à la machine cliente (en
général par le protocole DHCP), qui les
utilisera à chaque fois qu'elle aura une question (c'est-à-dire pas
moins d'une centaine de fois pour la seule page d'accueil de
CNN).
Si on veut censurer en France l'accès à un site de jeu en ligne,
par le protocole DNS,
c'est un bon endroit pour attaquer. Il en existe d'autres, mais que je
garde pour d'autres articles. Modifier le comportement du résolveur
est facile (les logiciels ont déjà ce qu'il
faut pour cela) et certains FAI le faisaient déjà pour des raisons financières.
Mais c'est aussi une technique de censure relativement facile à
contourner : l'utilisateur de la machine cliente peut changer la
configuration de son système pour utiliser d'autres résolveurs que
ceux de son FAI, par exemple ceux de
Telecomix, qui promettent de ne pas censurer. C'est cette
technique qui est discutée dans cet article.
Si vous lisez les forums un peu au hasard, vous trouverez souvent
des allusions à cette méthode, de la part de geeks
vantards qui affirment bien haut « rien à foutre de leur censure à la
con, je change mon DNS car je suis un top-eXpeRz et je surfe sans
filtrage ». La réalité est plus complexe. Prenons l'exemple d'une
machine Ubuntu (il y a peu près les mêmes
problèmes sur Windows ou
Mac OS X). La liste des résolveurs DNS utilisés figure dans le fichier
/etc/resolv.conf
. Suffit-il
d'éditer ce fichier, comme on le lit souvent (et bien à tort) ?- Déjà, il faut rappeler au frimeur de forum que la grande majorité des utilisateurs de l'Internet n'ont même pas idée qu'ils peuvent choisir (et je ne parle pas seulement du résolveur DNS, mais aussi du navigateur, du système d'exploitation, etc). Si on veut que la solution soit accessible à tout le monde, pas seulement à quelques geeks auto-proclamés, elle doit être simple.
- Même sur Ubuntu, tout le monde ne sait pas éditer un fichier système (surtout qu'il faut être root).
- Le frimeur à grande gueule qui écrit sur
forum.blaireaux.com/index.php
découvrira vite, s'il essayait ce qu'il prêche, qu'éditerresolv.conf
n'est pas la bonne méthode, car le client DHCP effacera ses modifications à la prochaine connexion. Il faut modifier la configuration dudit client DHCP (cela varie énormément selon le système et le logiciel installé ; sur ma Debian, en ce moment, c'est/etc/resolvconf/resolv.conf.d/head
). - Sur certains systèmes d'exploitation, changer un réglage aussi banal est très difficile. Par exemple, sur Android (merci à Aissen pour les informations), les serveurs DNS utilisés sur le réseau mobile ne sont pas modifiables et, sur le Wi-Fi, on ne peut les changer que si on coupe DHCP. Comme la publicité fait tout son possible pour migrer les utilisateurs vers les accès Internet sur téléphone mobile, bien plus contrôlés et moins libres, l'avenir est inquiétant.
- Une fois qu'on sait quel fichier éditer et comment, reste la question, que mettre dans ce fichier ? Il existe plusieurs résolveurs publics situés en dehors du pouvoir de l'ARJEL, et le plus souvent cité est OpenDNS. Intéressant paradoxe : pour échapper à la censure et garder sa liberté de citoyen, on utilise un résolveur menteur, qui pratique lui-même la censure (et parfois se trompe). Utiliser OpenDNS, c'est se jeter dans le lac pour éviter d'être mouillé par la pluie. Sans compter leurs autres pratiques, comme l'exploitation des données personnelles (le résolveur DNS utilisé sait tout de vous... chaque page Web visitée lui envoie au moins une requête...). À noter qu'on peut avoir aussi un résolveur local à sa machine, ce point est traité un peu plus loin.
Pour résoudre tous ces problèmes, on peut écrire des
documentations (exemples à la fin de cet article). Mais la plupart des
utilisateurs auront du mal à les suivre et je pense donc que la bonne
solution est la disponibiité d'un logiciel qui automatise tout
cela. Quel serait le cahier des charges d'un tel logiciel ?
- Tourne sur les systèmes utilisés par M. Toutlemonde (Windows, Android, Ubuntu, etc).
- Indépendant de l'application (le DNS ne sert pas que pour le Web) et marche donc avec tous les services (c'est pourquoi je n'ai pas discuté dans cet article des extensions Firefox comme MAFIAAFire ou DeSOPA - ce dernier ayant en outre un mode de fonctionnement très bizarre).
- Simple à utiliser.
- Vient avec une liste pré-définie de bons résolveurs. Je préférerais que cette liste n'inclue pas les résolveurs menteurs comme ceux d'OpenDNS. En tout cas, il est impératif qu'on puisse ajouter les résolveurs de son choix.
- M. Toutlemonde va certainement avoir des problèmes pour décider s'il
doit se servir de « Telecomix » ou « Comodo » ou « Level-3 » pour ne
citer que quelque uns des résolveurs publics les plus fameux. Il
faudrait donc que le logiciel teste ces résolveurs automatiquement,
pour leurs performances, bien sûr (la plupart des articles trouvés sur
le Web sur le thème « comment choisir son résolveur DNS ? » ne
prennent en compte que leur vitesse, pas leur sincérité, contrairement
à cet article) mais aussi pour leur obéissance à la censure. Le
logiciel devrait venir avec une liste de domaines peut-être censurés
(
wikileaks.org
, etc) et tester les réponses des résolveurs candidats. Ce n'est pas facile à faire car il faut aussi connaître les bonnes réponses, et elles peuvent changer. Peut-être le logiciel devrait-il interroger des résolveurs de confiance pour avoir cette information ? Le fait de tester pourrait même permettre de choisir automatiquement un résolveur, ce qui serait certainement meilleur pour M. Toutlemonde. - Autre cas vicieux (merci à Mathieu Goessens), celui des résolveurs DNS qui, en violation des bonnes pratiques, contiennent des données spécifiques qu'on ne trouve pas dans le DNS public. C'est le cas de pas mal de portails captifs de hotspots, par exemple. dnssec-trigger gère ce problème en ayant un mode spécial, manuellement activé, « Hotspot sign-on ». Mais il y a pire : certains FAI (notamment Orange) utilisent des données non publiques pour certains services réservés aux clients (VoIP, serveur SMTP de soumission, etc) donc une solution qui gère la connexion initiale ne suffit pas. La seule solution dans ce cas est d'avoir un mécanisme d'aiguillage qui envoie les requêtes pour certains domaines à certains résolveurs.
8.8.8.8
et 8.8.4.4
sur leur
propre réseau, pour se faire passer pour Google
Public DNS, profitant du fait que ce service n'est pas
authentifié).
Compte-tenu de ce cahier des charges, quels sont les logiciels qui
conviennent aujourd'hui ? Il n'en existe aparemment qu'un seul, DNS Jumper (je ne suis pas
sûr d'avoir mis un lien vers le site officiel, ce logiciel n'a pas de
références bien précises et, son source n'étant
pas distribué, on peut être inquiet de ce qu'il fait). DNS Jumper
tourne sur Windows, assure les quatre premières
fonctions de mon cahier des charges mais pas l'avant-dernière : il ne
vérifie pas que le résolveur est digne de confiance. Il est décrit,
par exemple, dans « Easily
Switch Between 16 DNS Servers with DNS Jumper »
(l'article est un peu ancien, le logiciel s'est perfectionné depuis),
ou, en français, dans « DNS Jumper - Changez
rapidement de serveurs DNS ».
Les autres logiciels restent à écrire (un truc comme DNS Helper ne
compte pas, puisqu'il ne permet de changer... que pour les DNS de
Google). Mais que les censeurs ne se réjouissent pas, les logiciels
vont vite sortir, écrire un tel programme n'est pas un exploit
technique, et la demande est forte, avec le décret ARJEL déja cité
pour la France, SOPA pour les États-Unis, etc.
Sur le problème général de changer manuellement ses résolveurs DNS,
un bon article est « How
to Change DNS Server » de Remah (Windows
seulement). Pour Mac OS, un bon article est « Disabling DNS servers from DHCP ».
Quelques petits détails techniques pour finir : on peut
parfaitement installer un serveur DNS résolveur sur sa propre
machine (enfin, sur un ordinateur portable, pas sur un
smartphone). La résolution DNS sera alors
entièrement sous le contrôle d'un logiciel qu'on gère, fournissant
ainsi le maximum de sécurité. Le processus
n'est pas très compliqué sur Unix, ni même sur
Windows (merci à Gils Gayraud et Mathieu Bouchonnet pour leur aide
sur Windows). On peut le rendre encore plus simple avec des logiciels
astucieux comme dnssec-trigger, qui ne teste
pas la censure (son but est tout autre) mais pourrait servir de point
de départ à un paquetage simple d'installation, vraiment utilisable
par M. Toutlemonde (ce n'est pas encore le cas). Par contre, un tel
résolveur local a des conséquences négatives sur l'infrastructure du
DNS : comme il n'y a plus de cache partagé (avec le résolveur/cache du
FAI, une requête pour
www.bortzmeyer.org
reste en
mémoire et bénéficie à tous les clients du FAI),
les serveurs faisant autorité verront leur charge s'accroître.
Pour éviter cet inconvénient, une des solutions serait pour le
résolveur local de faire suivre les requêtes aux résolveurs du FAI (de
tels résolveurs sont nommés forwarders). Mais cela
implique de détecter lorsque le résolveur du FAI ment, pour le
court-circuiter dans ce cas. DNSSEC fournit une
piste intéressante pour cela mais, début 2012, les résolveurs ayant
cette fonction forwarder
(BIND et Unbound) n'ont
pas de tel service de détection et de contournement.
Pire encore, on peut combiner le résolveur local (ou le remplacer)
avec des fichiers statiques locaux (
/etc/hosts
sur Unix, C:\WINDOWS\system32\drivers\etc\hosts
sur Windows) mais la maintenance de tels fichiers serait un
cauchemar.
Cela ne veut pas dire que cela n'arrivera pas : dans ce maelstrom
d'attaques et de contre-attaques, les solutions les plus mauvaises
seront certainement déployées par certains acteurs et le futur est sombre pour le système de résolution de noms.
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